Le temps des oeufs durs

Élégant échafaudage.

L’élégant échafaudage dont je titre mon message n’est pas, malheureusement, le film de Norbert Carbonnaux qui est une toute petite chose pour cinémas de quartier. Non : ce dont je parle, c’est la construction harmonieuse, et quelquefois alambiquée qui ornait jadis le zinc des bistrots parisiens et qui ne doit plus exister, sauf dans des recoins assez reculés de la Capitale, le présentoir à œufs durs, denrée libéralement offerte à la gourmandise de la clientèle, agrémentée de quelques grains de sel et proposée pour un prix très raisonnable.

À dire vrai, si, dans ma mémoire de cinéphage j’évoque l’œuf dur qu’on écale, me vient plutôt en tête le visage de Louis Cyphre (Robert De Niro) dans Angel heart, film terrifiant d’Alan Parker, et non la bouille frisottée de Darry Cowl. Mais enfin, c’est comme ça que le film de Carbonnaux commence : un petit bonhomme timide et sans le sou, Louis Stainval qui casse un œuf dans un bistro parisien où on lui marche sur les pieds sans le remarquer.

oeufs10Ça ne vaut vraiment pas grand chose, ça a, au moins, le mérite d’être bref mais même les amateurs de ringardises dont je suis peuvent se dispenser de voir Le temps des œufs durs : l’histoire est idiote et aussi ténue que les chances de Mme Trierweiler de reconquérir le cœur du Président de la République : le brave Louis, qui a gagné une forte somme à la Loterie nationale et qui est tombé amoureux de Lucie (Béatrice Altariba), fille de Raoul Grandvivier (Fernand Gravey), bourgeois décavé et peintre sans talent, dépense ses sous à acheter des croûtes invendables et à donner au père de sa belle l’illusion d’être apprécié. C’est un scénario filiforme. Il y a aussi des moments pénibles, très au delà du ridicule, comme une scène dans une piscine où Pierre Mondy en maître-nageur est bien pitoyable ; et puis Julien Carette, qui avait encore sept ou huit ans à vivre et à jouer est en fin de carrière (et malheureusement en panne de son immense talent).

oeufs12Cela écrit, ça ne mérite pas une note de 0 ; peut-être pas 1 tout de même non plus ; 0,5 m’irait mieux. Il y a deux minutes et demie avec Daniel Emilfork en esthète homosexuel décadent qui ne sont pas mal du tout ; et puis il y a des têtes qu’on aime revoir, fût-ce fugitivement, Gaby Basset, Jacques Marin, Bernard Musson, Jacques Dufilho ; et Fernand Gravey retrouve de temps à autre l’œil velouté et l’allure altière qu’il interprétait avec talent à l’époque (Courte tête, L’École des cocottes, Les petits matins).

Surtout, pour une fois, Darry Cowl bafouille et zézaye plutôt moins que dans les rôles qui lui valurent, pendant quelques trimestres, un invraisemblable et affligeant vedettariat. Autant sa prestation, quand elle était limitée à une ou deux apparitions pouvait être éclatante et fasciner Sacha Guitry (Assassins et voleurs), autant son exposition majuscule en vedette était exaspérante, ce qui a donné des horreurs comme L’ami de la famille ou Le triporteur. Imagine-t-on qu’il a tourné treize (13 !!) films dans la seule année 1957 ? Il a donc explosé en plein vol : après 1960, Darry Cowl est revenu au statu quo ante, celui d’une silhouette connue de tous, qui venait faire son numéro de cinq ou six minutes et toucher son cachet dans le tout et n’importe quoi du cinéma… Pas si gai que ça, finalement…

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