L’éducation sentimentale

Été et fumées

J’avais dix raisons de regarder avec un préjugé favorable cette Éducation sentimentale ; j’en avais une de me méfier. Commençons par celle-là : je ne suis pas fort amateur de Gustave Flaubert dont je reconnais volontiers l’immense talent et même la stature de géant des Lettres françaises, mais dans l’œuvre de qui j’entre assez mal et je me noie vite. Je fais une exception pour Madame Bovary, m’amuse quelquefois avec Bouvard et Pécuchet, mais je trouve rien d’aussi ennuyeux que Salambô, sinon La tentation de saint Antoine. Quand à L’éducation sentimentale, je l’ai lue trois fois, la dernière il n’y a pas trois ans et je n’en ai toujours rien retenu, à part les noms des deux protagonistes centraux, Frédéric Moreau et Marie Arnoux, ce qui est particulièrement décourageant pour un texte qui occupe tout de même 430 pages dans mon édition (ancienne) de La Pléiade.

Après ce sujet d’inquiétude, venons-en aux attirances ; d’abord l’adaptation du roman était due à Roland Laudenbach et les dialogues du film à Roger Nimier ; je n’ai évidemment pas connu le second, éclaté dans son Aston Martin sur l’autoroute de l’Ouest en 1962, après avoir adapté pour Louis Malle ce qui deviendra Ascenseur pour l’échafaud et se préparant à le faire pour Le feu follet, mais le chef de file (ou plutôt la figure symbolique) des Hussards (avec Antoine Blondin, Michel Déon, Kléber Haedens et quelques autres) était si éperdu de talents que j’étais confiant. Si Nimier est mort bien trop tôt, j’ai en revanche un peu connu Laudenbach, neveu de Pierre Fresnay et surtout créateur des éditions de La table ronde. Homme de goût et d’esprit, grand lettré réactionnaire, je l’imaginais assez bien tourner un petit bijou élégant et sophistiqué.

J’ajoute que j’ai toujours infiniment apprécié le jeu élégant de Jean-Claude Brialy, qui m’a fait un temps l’honneur de sa sympathie, que j’ai mêmement trouvé que Michel Auclair avait un grand talent qui n’a pas été assez reconnu et que la présence de Pierre Dudan (autre fieffé réactionnaire !), compositeur international à succès (Clopin-clopant) qui faisait de temps en temps des piges pour le cinéma m’intéressait. Quant aux dames, si je n’ai pas pour Marie-Josée Nat une folle admiration, je la supporte sans difficulté ; et je me souviens de longue date que mon seul bon souvenir de Un roi à New York, l’œuvrette idiote de l’histrion Charlot, était la présence de la ravissante Dawn Addams.

Reste dans ce long préambule (qui sera suivi de développements plus minces, qu’on se rassure !) à dire un mot du réalisateur, Alexandre Astruc. Finalement, en y réfléchissant, je n’avais vu de lui jusqu’alors, mais il y a des lunes et des lunes, que Le rideau cramoisi et, plus tard, Une vie ; mais aussi, il y a peu, une sèche dramatique télévisée, Le puits et le pendule d’après Edgar Poe. J’ai rencontré Astruc, j’ai eu beaucoup d’intérêt à recueillir ses points de vue, souvent décapants. Demi-juif, anarchiste de droite, ami de Jean-Paul Sartre, fasciné par les mathématiques et les merveilles du langage, nostalgique de notre héritage monarchique, jamais, et en rien soumis à une doxa, à une règle, à une école. Voilà un homme qui, ainsi présenté, n’est pas déplaisant, n’est-ce pas ?

Eh bien, tout cela qui devrait marcher ne marche pas du tout et donne un film languissant, poussif, haché, à qui les acteurs ne semblent pas croire une seule seconde. Intermittences du cœur, jeux de l’amour et du hasard, fascinations improbables pour quelqu’un qui ne peut être atteint, billevesées des amours de tête et des illusions qu’une certaine disposition des éléments peut faire un moment envisager, tout y est. Mais tout est décalé, bizarrement agencé de sorte que les personnages sont en perpétuel décalage avec ce qu’ils sont censés représenter.

Dans un premier temps, je me disais que la faute en étaient les erreurs de distribution ; et qu’en tout cas Jean-Claude Brialy ne pouvait en aucune façon incarner ce jeune homme pudique, effarouché, enthousiaste et assez niais (et même particulièrement sot), parce que l’acteur porte en lui tout à fait l’inverse. Et en y réfléchissant davantage je me dis que c’est sans doute le rythme trop paresseux, et le trop grand souci d’Alexandre Astruc de construire une épure, un impeccable compendium d’images intelligentes qui porte l’échec du film. Il y a dans L’éducation sentimentale des plans-séquences d’anthologie, des qualités indéniables pour filmer de fausses histoires d’amour de gens qui se racontent n’importe quoi. Et puis on en reste là : on s’ennuie passablement et on se dit que, dans le genre, Astruc aurait mieux fait d’aller choisir chez Françoise Sagan ce qu’il n’a pas pu vraiment trouver chez Gustave Flaubert. Elle, au moins, était une sacrée romancière.

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