Leguignon guérisseur

La saveur du pot-au-feu.

Tombant à peu près par hasard sur ce film inconnu de l’assez peu notoire Maurice Labro, je me disais qu’il était bien extraordinaire qu’Yves Deniaud, figure seconde ou même troisième du cinéma du samedi soir des années 50 fût placé en vedette d’un spectacle. Il est vrai que le reste de la distribution ne comptait pas d’acteurs bien notoires, à l’exception minime de la rondeur institutionnelle (et toujours excellente) de Jane Marken, de Michel Roux, qui a rapidement compris que son avenir était davantage dans le théâtre de boulevard et dans le doublage, et des silhouettes stakhanovistes de Paul Demange et de Marcel Charvey et de Gabriello. Et de quelques autres sans beaucoup d’importance.

Mais en fouillant un peu, j’ai découvert qu’Yves Deniaud avait animé pendant quelque temps sur les antennes de Radio Luxembourg le personnage de ce brave homme de Leguignon (sans doute archétype du citoyen plein de bon sens et au verbe expressif) et qu’il avait tourné, dès 1952, un premier film, toujours du même Labro qui était intitulé Monsieur Leguignon, lampiste. Tout s’est alors miraculeusement éclairé et, à mes yeux éblouis, j’ai vu surgir le personnage. Leguignon guérisseur semble être la suite immédiate du premier film, que je n’ai pas encore eu le privilège d’apprécier, et se situe immédiatement après la condamnation en correctionnelle du héros à la suite d’une invraisemblable série de malchances et de balourdises dues à de grandes honnêteté et naïveté.

À peine revenu chez lui, où veille son excellente épouse (Jane Marken) et où se prépare le proche hyménée de sa fille Arlette (Nicole Besnard) et du jeune médecin Jean (Michel Roux), lui-même fils du docteur Martinet (André Brunot), le praticien du bourg, Leguignon, fortuitement, se découvre des dons de magnétiseur. En deux temps, trois mouvements, il guérit quelques bestioles estropiées, puis ses concitoyens, affligés là d’un lumbago handicapant, ici de vieilles douleurs persistantes. Il parvient même, par la simple imposition des mains, à remettre sur pied la magnat du patelin, le richissime M. Coq (Louis Blanche), paralysé depuis des années, que le docteur Martinet suit pourtant avec un soin jaloux. Tout cela lui vaut bien sûr une immense popularité.

Cela ne fait évidemment pas l’affaire de tout le monde ; en premier lieu du pharmacien (Paul Demange), dont plus personne n’a besoin des préparations, du docteur Martinet, qui voit sa clientèle s’évaporer, mais aussi des quatre neveux et nièces de M. Coq, qui espéraient un héritage rapide et qui voient s’en éloigner l’échéance.

On devine la suite : complots divers, médisances, plaintes pour exercice illégal de la médecine et, in fine, tentative des potentiels héritiers d‘épuiser la magnétisme naturel de Leguignon en lui faisant ravager la santé par une gourgandine de haut vol, la belle Rita (Colette Mars). Bien pis encore, les deux fiancés se chamaillent, chacun prenant le parti paternel ! On va vers le drame.Et naturellement tout s’arrange.

Eh bien tout cela est assez amusant et plein de charme pour qui aime le genre, désormais bien oublié, de la brave comédie sans prétention. Je ne conseillerais évidemment pas à quiconque la vision de cette gentille antiquité qui n’est pourtant pas si lourdingue que ça. Il y a, bien sûr, une sorte de reportage sur la vie dans une bourgade tranquille de la France disparue, un regard narquois et, si l’on peut dire, un peu poujadiste jeté sur les incertitudes de la médecine ; mais, depuis Rabelais, depuis Molière, on sait que le Français, qui se veut (et se croit) malin est, par nature, à la fois un sceptique et un gogo.

On tape sur les médecins, on tape sur les juges, on tape sur les inspecteurs des impôts : qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?

Leave a Reply