L’empereur du Nord

« Dégage la voie, petit ! »

N’étaient l’admiration que je voue aux grands acteurs Lee Marvin et surtout Ernest Borgnine, la capacité de Robert Aldrich de filmer habilement les trains et leurs machineries compliquées et aussi la chorégraphie réussie de la méchante bagarre finale, j’aurais certainement mis une note inférieure à la moyenne à L’empereur du Nord. Au demeurant, ce titre français est complètement idiot : il aurait fallu conserver l’original L’empereur du pôle nord, manière pour les vagabonds qui sont le fond du film de se gausser d’eux-mêmes en s’intitulant en quelque sorte souverains du désert, souverains de l’absence ; souverains de rien du tout en fin de compte. Est-ce que pour autant cela aurait pu améliorer le film, dont le scénario est infantile et les dialogues d’une insignifiance caractérisée ? Je ne le crois pas, à dire vrai mais ça aurait au moins eu le mérite de recadrer les choses. 

Parmi les pauvres diables réduits à la misère par la grande dépression de 1929, certains sillonnent les États-Unis de 1933, au pic de la débâcle, en vivant de travaux saisonniers et d’expédients de toute sorte. Ils se déplacent le plus souvent en train, au gré de leur humeur et des opportunités et on les appelle les hobos (étymologie incertaine) ; il naît de cette errance perpétuelle une certaine légende, presque une mythologie, on dirait aujourd’hui une culture (!!) faite de signes, de codes, de recettes, de symboles.

La scène se passe au nord-ouest des États-Unis, en Oregon ; pour on ne sait quelle raison, le train n°19 est l’objet de toutes les attentions des hobos ; il n’a rien de moderne ou d’attirant, c’est un train de marchandises banal, on ne voit pas ce qu’il peut avoir de fascinant. Sinon qu’il est jalousement gardé par Shack (Ernest Borgnine) et son acolyte Cracker (Charles Tyner) qui prennent garde avec une férocité obsessionnelle à ce qu’aucun vagabond ne puisse l’emprunter, sauf à y laisser sa peau. Le film ne donnera aucune raison de cette obsession et n’explorera pas le moins du monde la psychologie de qui que ce soit, au demeurant. À peine peut-on supputer que chacun joue son jeu, les uns voulant à toute force emprunter le train, les autres défendant leur territoire avec un sadisme dont l’intensité est absolument incompréhensible.

Il se trouve que, parmi les trimardeurs, le plus malin, le plus ingénieux, le plus courageux, surnommé Numéro 1 (Lee Marvin) voit sa supériorité mise en cause par les vantardises d’un blanc-bec, Cigarette (Keith Carradine). Ce qui le pousse à proclamer publiquement, en inscrivant le défi à la craie sur un château d’eau, qu’au jour qu’il désigne il embarquera dans le train n°19. Shack va naturellement réagir à la provocation, traquer son adversaire et tout faire pour s’en débarrasser. Ajoutons, pour la bonne bouche que Cigarette, naturellement va faire le malin et prétendre lui aussi voyager vers Portland, gare d’attache du train n°19.

Sur cette trame mince comme une pomme de terre chips, Robert Aldrich fait tirer deux heures qui ne sont pas toujours ennuyeuses, notamment lors des sauvages traques des passagers clandestins faites par Shack et Cracker, mais tout de même étrangement répétitives et dépourvues de toute chaleur. On comprend bien qu’un gourdin métallique disposé au bout d’une longue chaîne et que Shack laisse trainer sous le train est une arme très douloureuse contre les malheureux réfugiés entre les essieux, mais une fois qu’on l’a vu, on a compris !

Le thème de la transmission du savoir entre Numéro 1 et Cigarette, qu’on aurait pu juger important est abordé au bout d’1h40 et n’a évidemment pas le temps de se développer : on a assez vite compris que Cigarette est une petite canaille sans envergure ni intérêt et on n’est pas mécontent qu’il soit à la fin rejeté sans pitié aux ténèbres extérieures.

Enfin… Si on veut regarder les États-Unis de ce moment là, mieux vaut se projeter une fois de plus l’admirable Bonnie and Clyde.

 

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