Les affreux

Le calculateur et le carburateur.

Marc Allégret était un honnête artisan du cinéma, qui, au contraire de son frère Yves,, n’avait pas d’autre ambition que de distraire son public, ce qui n’est déjà pas mal. À la fin des années Cinquante, sa carrière, honorable, (Entrée des artistesFélicie NanteuilBlanche Fury) commençait néanmoins à sérieusement faseyer. D’où, certainement, l’idée de la relancer de façon un peu originale en réunissant à l’écran deux personnalités à l’image absolument opposée, incarnant des personnages eux aussi tout à fait antagonistes. Après tout le genre a donné sinon de grandes réussites, du moins des films à succès. Et là aussi, ce n’est déjà pas mal.

En 1959 Pierre Fresnay a derrière lui une immense carrière, d’abord au théâtre avec l’éclatant succès de la Trilogie de Marcel Pagnol (MariusFannyCésar) à partir de 1931, puis de La grande illusion de Jean Renoir en 1937, L’assassin habite au 21 (1942) et Le corbeau (1943) d’Henri-Georges Clouzot, de Monsieur Vincent (1947) de Maurice Cloche, du Défroqué (1954) et de L’homme aux clés d’or (1956) de Léo Joannon. Le public le respecte et l’admire ; il a de l’épaisseur, de la puissance, du ton. Mais le cinéma commence à le lasser. Les affreux sera son avant-dernier film avant la pitrerie un peu dégradante des Vieux de la vieille (1960) de Gilles Grangier. Il retournera ensuite au théâtre, avec grand succès.

À l’opposé, Darry Cowl a surgi sur la scène torrentueusement. Après des apparitions hilarantes et limitées à un numéro très typé dans une ou deux séquences, remarqué un peu davantage dans Assassins et voleurs de Sacha Guitry en 1957, il a remporté un succès phénoménal dans le bien médiocre Triporteur de Jacques Pinoteau. Dans cette même année 1957, il ne tourne pas moins de treize films et continue à un rythme presque similaire dans les cinq ou six années qui suivent. Sa dépendance au jeu l’oblige à accepter tout et n’importe quoi, le confine dans son rôle d’ahuri bafouillant. Mais tout de suite après, l’étoile pâlit et les premiers rôles s’effacent.

Idée, donc, de réunir deux hommes que tout paraît opposer. César Dandieu (Pierre Fresnay) amateur de grave musique classique, mais aussi judoka de qualité, est féru de calcul et descend les additions (comme je l’ai vu faire à de vieux employés) à la même vitesse qu’une machine. Il est le caissier précis, rigoureux, acharné au travail, d’une compagnie pétrolière, un peu en butte à la mesquinerie jalouse de sa hiérarchie, incarnée par l’affreux Pelou (Michel Galabru). Fernand Mouchette (Darry Cowl) est un doux rêveur, musicien, anarchiste qui vit avec Adèle (Anne Colette). Il vient d’inventer un moteur d’automobiles qui fonctionne avec de la simple eau de mer. Il vient proposer sa trouvaille à la grande compagnie où travaille Dandieu et, à la suite d’une série de méprises intervertit sa valise, qui contient son invention avec celle, de même modèle, préparée par Dandieu pour la paye des ouvriers, soit 4 millions (d’anciens francs, mais, en 1959, c’est une belle somme).

Sur ces prémisses assez rebattues se greffe une série de péripéties farfelues ; Dandieu/Fresnay fait un peu de prison, Mouchette/Cowl part au service militaire. Puis se retrouvent et sympathisent. Irrité de l’erreur judiciaire qui l’a fait incarcérer, le méticuleux Dandieu, assisté de Mouchette, déclare la guerre à la société.

Il y a quelques bons moments (la prétendue inspection bancaire, toute d’esbroufe) et finalement ce petit film de série est plutôt plaisant pour qui n’en demande pas trop. Il permet surtout de constater, en mettant côte à côte un grand acteur et un histrion rigolo combien l’un écrase l’autre. Ce qui n’étonnera personne qui connaît un peu le cinéma.

 

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