Les camarades

Misère du monde sans lendemains chantants.

Ce film extraordinaire pourrait permettre d’engager des tas de discussions pour en toucher les aspects divers ! On aimerait jubiler devant un DVD de meilleure qualité, comportant une VOST, et additionner, sans réticence sur la qualité du produit édité, les remarques sur le talent de Monicelli et la capacité de la comédie italienne de donner sans cynisme aucun, mais avec une impitoyable lucidité, qui est le seul vrai réalisme un regard de tendresse à la pauvre humanité.

Il n’est pas interdit d’évoquer Germinal ce qui permet de montrer toute la mesure des différences entre le lyrisme exalté (qui n’est pas pour autant médiocre) entre le film de Claude Berri et celui de Mario Monicelli.

Car, Piémont pour Pas-de-Calais, textile pour charbon mis à part, on y retrouve presque exactement la même structure et certaines séquences sont absolument identiques, non dans la façon de filmer mais dans le ressort dramatique (la délégation d’ouvriers timides et impressionnés par le décorum du patronat, l’arrivée des Jaunes, ici les chômeurs de Salluzo, là les mineurs belges, le grondement de la foule devant la troupe, dont la fusillade est déclenchée par un jet de pierre et la panique d’un soldat). Mêmes ressorts dramatiques, et mêmes structures des personnages : Pautasso (Folco Lulli), brave type à la tête près du bonnet, c’est la même bonne pâte d’homme que Maheu (Gérard Depardieu) et le professeur Sinigaglia (Marcello Mastroianni) vient, avec les mêmes meilleures intentions du monde semer la même révolte et la même mort qu’Étienne Lantier (Renaud)…

Bien des ressemblances (bien des différences, aussi, évidemment), mais surtout une autre façon, bien plus subtile, de voir le drame de cette condition ouvrière de la fin du 19ème siècle. Ces masures pitoyables, cette misère noire qui colle la peau, ces travaux interminables et épuisants, cette humanité presque réduite à la bestialité, on les rencontrait dans toute l’Europe industrielle et c’est l’époque où les aspirations à une plus grande dignité humaine se font jour ici et là. Mais cette vie dégradante, on peut la filmer par tous les cheminements : par la noblesse emphatique de l’indignation révolutionnaire, mais aussi tout autant – et mieux – avec ce sourire amical et clairvoyant qu’est celui de Monicelli ; les plus déterminés, les plus courageux ne sont exempts ni de ridicules, ni de faiblesses, les plus raisonnables de petites crapoteries, les plus égoïstes ne manquent pas toujours de générosité…

Et quand Raoul (Renato Salvatori), après la mort de Pautasso (Folco Lulli) écrasé par le train des Jaunes, lance à Sinigalia (Mastroianni), Un mort, il vous en faudrait tous les jours ! (pour alimenter la révolte), on est tout proche du grand ressort martyrologique qui fait les révolutions…

Les acteurs, connus ou moins connus sont extraordinaires et Mastroianni, exalté, ridicule, touchant, sournois, égocentrique tour à tour trouve là un rôle magnifique… La musique de Carlo Rustichelli est d’une très grande subtilité, presque narquoise, par exemple au moment de la mort de Folco Lulli, toujours très adaptée… Et cette chanson révolutionnaire qui ouvre et clôt les génériques de début et de fin ! C’est du grand art… on y trouve presque des résonance de chœurs d’opéras…

Leave a Reply