Les dernières vacances

La toge prétexte.

Comment Roger Leenhardt aurait-il pu espérer retrouver jamais cet état de grâce, ce beau miracle de sensibilité et d’intelligence, après avoir tourné, en 1948, Les dernières vacances ? De fait, il se consacra ensuite à la production de films documentaires et sa seule autre incursion dans la réalisation de fiction, Le rendez-vous de minuit, en 1961, ne fut pas une réussite. Alors que Les dernières vacances est un pur bonheur de finesse, par le regard porté sur le moment fragile où l’adolescence entre dans la jeunesse, ce moment où, à Rome, les enfants commençaient à devenir des hommes en portant la robe prétexte avant de revêtir la toge virile à 17 ans. Ce moment où l’insouciance commence à s’enfuir, comme s’enfuient les longues semaines d’un été qui n’a jamais été aussi beau que cette année-là.

Lourds moments de ces trois mois délicieux et interminables et qui pourtant paraissaient toujours trop courts. C’est une grande maison, un grand domaine, tout bruissant de cris d’enfants et de longs jeux formidables. On est en 1933. Les fermages ne rapportent plus beaucoup et les dépenses d’entretien de la propriété ne font que s’accroître. Les grandes personnes songent avec nostalgie à leurs vingt ans, au bel été 1913, au monde stable d’auparavant mais elles sont bien obligées d’envisager la vente de leur terre, qui est depuis longtemps dans la famille et qui est demeurée dans l’indivision.

C’est le dernier été qu’on passera ensemble mais si les plus petits des enfants jacasseurs n’en ont pas vraiment conscience, parce qu’ils ne peuvent pas même imaginer que leur paradis puisse avoir une fin, les deux aînés, Juliette (Odile Versois) et Jacques (Michel François), en sont saisis jusqu’au tréfonds d’eux-mêmes.

Orpheline de sa mère, Juliette est la fille du chef de famille nominal Walter Lherminier (Jean d’ Yd), qui après de fortes études scientifiques, s’est consacré à la propriété – qu’il a assez mal gérée – et surtout à la photographie naturaliste. On peut songer en regardant sa tranquille insouciance à Milou (Michel Piccoli) de Milou en mai de Louis Malle.

Jacques est le fils de Cécile (Renée Devillers), sœur de Walter et femme du prospère homme d’affaires Valentin Simonet (Pierre Dux). Autre fils Lherminier, Édouard (Frédéric Munié), marié à Amélie (Marcelle Monthil) ; le couple est parent du jeune Augustin (Raymond Farge) à la santé fragile, qui après trois ans de sanatorium, a un peu de mal à s’intégrer à la nombreuse bande de cousins qui ont fait de l’immense propriété le plus fascinant des terrains de jeux. Puis arrive, précédée d’un parfum de scandale, la ravissante élégante divorcée et femme libre Odette (Christiane Barry) qui va un peu beaucoup faire tourner la tête de Valentin/Dux.

Et il y a encore Tante Délie (Berthe Bovy), charmante vieille dame un peu mystérieuse qui entretient l’esprit de famille mais dont ne sait pas trop ce qu’on va en faire quand la maison sera vendue. Vendue à des investisseurs immobiliers dont le représentant, Pierre Garat (Jean Lara) est bien près de séduire la jolie Juliette, à tout le moins lui fait découvrir qu’elle est déjà presque une femme… et naturellement toute une kyrielle d’enfants…

En voilà beaucoup de personnages pourra-t-on dire ! Et quelques intrigues qui s’entrecroisent… Le talent de Roger Leenhardt a été précisément de manier toute cette richesse de caractères et de situations avec une finesse et une intelligence rares et d’avoir traité avec une infinie délicatesse le vert paradis des amours enfantines, l’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs (Baudelaire). Jacques passe de l’enfance à l’adolescence lors de ces dernières vacances-là, entre la gifle donnée par sa mère (Renée Devillers) à un enfant qui lui a mal répondu et la gifle donnée par Juliette (Odile Versois), à un jeune homme qui a essayé de l’embrasser.

On n’est quelquefois pas très loin du drame, quelquefois pas très éloigné du drame bourgeois ; et précisément on échappe à tout cela. Jacques pris à rêver, lors de la première classe de la rentrée, sur la photographie de toute la famille assemblée pour la dernière fois dans ce qui fut son âme et sa force. Telle est la vie des hommes : quelques joies vite effacées par d’inoubliables chagrins (Marcel Pagnol).

 

 

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