Les Grandes familles

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Adaptation très réussie !

Si l’on fait abstraction de certains genres un peu particuliers (romans fantastique, érotique, policier – sans qu’il y ait démérite à écrire et à apprécier ceux-ci -), le roman offre essentiellement (ceci tracé à grands traits, bien sûr) deux voies : le roman psychologique, intimiste, dans quoi le Français – né moraliste – excelle, et la fresque à vastes panoramas bien représentée par Anglais et Russes, mais où Balzac et Zola tiennent aussi de solides positions.

A un niveau plus modeste, mais néanmoins bien intéressant, Maurice Druon est de cette école-ci. Pour qui aime un peu lire, entrer dans la vaste saga des Rois maudits est prendre l’assurance d’un haletant suspense où l’on se demande vraiment si la Guerre de Cent ans va réellement éclater (et si l’affaire de la Tour de Nesle va éclabousser le Trône, si Jacques de Molay va être brûlé, si le roi sodomite Edouard III sera puni de l’horrible façon qu’on sait, etc.) tant Druon possède l’art du récit et de la composition.

Ses ouvrages (un peu comme ceux de Simenon, dans un autre esprit) sont donc pain bénit pour le cinéma, si souvent en peine de récits originaux ; sont ou plutôt devraient être. Si l’étendue et la complexité des Rois maudits ne pouvaient se satisfaire de la relativement brève durée du film, ils ont trouvé, naturellement dans la version de Claude Barma un large véhicule à la mesure de leur foisonnement et de leur souffle.

Sait-on, par ailleurs que le dernier film de Vincente Minnelli, qui s’appelle Nina est une adaptation de La volupté d’être beau récit de Druon ? Ce que je cite à ce propos est un extrait du discours de réception de Druon à l’Académie française par le grand médecin Pasteur Valéry-Radot : « Une femme, la comtesse Lucrezia Sanziani, a été belle, adulée, elle a suscité des passions parmi les hommes les plus importants de son époque, princes, ministres, financiers, artistes. Elle a défrayé toutes les chroniques d’Europe avant l’autre guerre, comme la Castiglione. L’âge est venu (elle a soixante-dix ans) et voici la misère, la solitude. Elle ne veut pas avouer sa déchéance. Elle nie le temps. Elle conteste que le passé soit fini. Elle veut vivre comme elle vivait quand elle avait trente ans. Dans les brumes de sa conscience elle croit voir ses amants, elle leur parle, elle confond les vivants et les morts, elle envoie des lettres d’amour à ceux qui ont quitté la terre depuis longtemps. Elle remonte le cours des âges. La Contessa n’est pas une démente, c’est simplement une femme qui a l’hallucination du passé, à tel point que son hallucination devient la réalité ».

Et puis Les grandes familles, donc ; c’est là aussi un cycle romanesque, en trois tomes (avec « La Chute des corps » et « Rendez-vous aux Enfers ») dont seul le premier opus a été adapté par le bon artisan Denys de La Patellière, dont c’est, avec Un taxi pour Tobrouk incontestablement le meilleur film.

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Si Michel Audiard a ciselé d’étincelants dialogues, notamment pour le compte de Lucien Maublanc (formidable Pierre Brasseur), certaines parties sont directement issues du livre, notamment l’extraordinaire oraison funèbre qui ouvre le film, prononcée par le père de Lesquendieu (la belle voix grave de Julien Bertheau).

Jean Gabin, dans le rôle écrasant du Patriarche, du Despote Noël Schoudler est exceptionnel de qualité ; c’est une infinie banalité de redire combien il était capable de tout jouer, mais tout de même ! Un an après ces Grandes familles où il incarne l’arrogance de l’argent avec une telle dureté qu’elle le conduira au drame, il jouait Archimède, le clochard, dans une assez petite pantalonnade où il surnageait…

La distribution des Grandes familles, c’est ce qu’on faisait de mieux, en 1958, dans la distinction grand bourgeoise ou aristocratique : Annie Ducaux en épouse très soumise, Jean Desailly en fils ambitieux qui rêve d’étonner son père, Aimé Clariond et Jean Murat en beaux-frères piteux, Jean Ozenne en ponte de la médecine dévoré d’ambition…

Ajoutez à cela un Bernard Blier en technocrate efficace et ambitieux (peu différent, d’ailleurs du Philippe Chalamont du Président, à la même époque) et, pour l’anecdote, Nadine Tallier, qui n’était pas encore Nadine de Rothschild, mais jouait avec un grand naturel les gourgandines à petite vertu…

…vous aurez un film sacrément efficace qu’on ne se lasse pas de voir et revoir.

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