Je ne suis pas très féru de Fernandel qui a tourné tant et tant de bêtises où lui était laissée la bride sur le cou que l’on pourrait compter sur les doigts des deux mains ses rôles de qualité, au milieu d’une jungle de plus de 120 films dont peu demeureront à la postérité. Mais – soyons clair – l’acteur pouvait être quelquefois exceptionnel quand il était tenu par un grand texte (Marcel Pagnol) ou un grand réalisateur (Claude Autant-Lara ou Julien Duvivier). En contraste Jules Raimu n’a pas raté grand chose, même s’il s’est laissé quelquefois entraîner vers de petits films sans importance ; pourtant, quelle constance dans le talent !
Les Gueux au paradis réunit deux grands acteurs dans une farce absolument puérile et même infantile, tirée d’un conte de Flandre, pays des galimafrées et des paillardises. La pièce de Gaston-Marie Martens est transposée par le réalisateur, l’insignifiant René Le Hénaff, dans une Provence de pacotille. Où, autour des deux acteurs principaux, majuscules et envahissants, on a fait venir jouer quelques uns des seconds rôles emblématiques des provençalades traditionnelles : Marcel Maupi, André Alerme, Auguste Mourriès.
Donc un village charmant, aux rues un peu escarpées et aux places ornées de belles fontaines ; des enfants qui courent un peu partout ; des commères qui bavassent ; des tambourinaires qui font de l’œil aux jolies filles. Parmi tout ce monde, deux amis qui ne songent qu’aux plaisirs et à la vie douce. D’abord Boule (Raimu), Saint Antoine, aubergiste prospère marié avec l’aimante Catherine (Gerlatta) dont la petite fille Rosette est morte cinq ans auparavant et qui, beaucoup pour ça, aime voir briller les yeux des enfants lorsqu’il se costume en Saint Antoine. Aux côtés de Saint Nicolas, c’est-à-dire Pons (Fernandel), sorte de parasite bateleur, aimé des femmes et notamment de Lynda la bohémienne (Michèle Philippe).
Les deux compères, costumés avec les oripeaux des saints qu’ils représentent se préparent à distribuer aux enfants du village les cadeaux et les jouets qui leur sont offerts. C’est que, avant que l’affreuse mixture Coca-Cola impose, à coup de milliards et de soumission aux ukases étasuniens, le personnage du Père Noël aux petits Européens civilisés, la fête des enfants était bien la Saint Nicolas, Noël étant celle de la Nativité. Voilà que Boule et Pons, au milieu de la foule, sont fauchés par le passage d’un carrosse qui les laisse morts, au bord de la route.
Et voilà qu’il se retrouvent, à l’un à l’autre liés, dans un empyrée qui est, devinent-ils vite, l’Enfer et ses monstruosités. Voilà que Lucifer les reçoit, les séduit, essaye de les tenter en leur montrant les délices du pêché. Mais les deux braves gens regimbent et font pénitence. De ce fait ils sont subrepticement happés au Paradis où ils sont reçus par un Saint Pierre (André Alerme) grognon et pète-sec. C’est qu’ils se sont fait passer pour les véritables saints Antoine et Nicolas et qu’ils n’ont pas bonne mine lorsque les vrais saints se posent devant eux.
Grâce à l’intercession de la Vierge Marie (Gaby Andreu), les deux hommes ne sont pas punis de leur usurpation et sont renvoyés dans leur village. Stupéfaction de la population, puis bonheur d’avoir retrouvé les joyeux drilles.C’est tout ? C’est tout ! Les deux hommes jurent que désormais ils vivront sans abuser des belles choses de la vie. Mais Dieu ! que c’est ennuyeux, lourd, sans éclat et sans drôlerie, avec deux personnages qui avancent pesamment vers une conclusion évidente et banale ! Le film ne repose que sur le jeu des deux acteurs principaux : Fernandel qui en fait pas trop et Raimu qui n’en fait sans doute pas assez. Au total un film à peu près insignifiant qui pourrait n’avoir pas existé.