Les insurgés

Leçons venues des ténèbres.
Innombrables histoires, innombrables tragédies des guerres mondiales ! Depuis le temps qu’on tourne des films et qu’on met la lumière sur tel ou tel théâtre d’opération, tel ou tel fait d’armes, telle ou telle épouvante, tel ou tel personnage et bien d’autres singularité des conflits, on a quelquefois l’impression d’en savoir beaucoup, tant et plus sur ces moments à la fois si affreux et si habituels de l’histoire de notre pauvre Humanité. C’est cela : on croit avoir tout vu : les assauts, les tranchées, les mutineries, les débâcles, les résistances, les lâchetés, les héroïsmes, les victoires, les libérations. Et chacun de nous pourrait sûrement, à chacun de ces items, citer deux ou trois ou quatre films qui lui demeurent en mémoire.

Les insurgés, pour moi, c’est plutôt du nouveau : l’extermination en Biélorussie (alors partagée entre la Pologne et l’Union soviétique) des malheureux Juifs par les Allemands qui ont envahi le pays entre septembre 39 et juin 41. Extermination réalisée par les valeureux Einsatzgrüppen, émanation du Sicherheitsdienst de nos vieux camarades Heinrich Himmler et son copain Reinhard Heydrich. C’est ce que l’on a appelé la Shoah par balles qui permit d’éliminer seulement 1,5 million d’individus dont, en Biélorussie, 800 000 Juifs, 90% de la population israélite. On comprend mieux pourquoi devant la lenteur et la médiocrité des résultats les chefs allemands ont décidé d’accélérer un peu : voir La conférence (de Wannsee) où l’on décida de passer à des méthodes plus industrielles, plus modernes, l’utilisation du gaz Zyclon B, pour accélérer la cadence.

On a beaucoup dit et écrit que, durant la Guerre, les Juifs n’ont pas beaucoup réagi, ne se sont guère révoltés devant les horreurs qui les envoyaient à la mort. Outre que c’est faire peu de cas de la révolte du ghetto de Varsovie, cette réserve, si elle a existé, peut marquer une forme de sidération incrédule devant l’abomination. N’empêche que tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Et c’est pourquoi Les insurgés,qui porte à l’écran une histoire réelle est bien réconfortant. Je suppose qu’il y a une part romancée dans le film, mais il est certain qu’il y a eu effectivement un groupe de partisans Bielski, animé par une fratrie juive de ce nom, quatre hommes, Tuvia, Asael, Zus et Aron, qui avaient alors entre 35 et 15 ans.

D’abord lancés dans une simple vengeance contre les Allemands qui ont massacré leurs parents, les quatre frères se voient peu à peu rejoints par de pauvres gens de tout âge et de toute condition, chassés de leurs villages ou fuyant les ghettos où ils sont promis à l’extermination. Il y a des vieillards, des femmes, des enfants, ce qui signifie que les préoccupations ne peuvent plus être exclusivement guerrières mais que la communauté doit être désormais abritée, nourrie, soignée ; et aussi que les disparités de vue, les dissensions, les animosités ne peuvent que surgir. Le réalisateur Edward Zwick filme le récit avec une certaine efficacité, bien aidé en cela par une excellente distribution. Tuvia Bielski, l’aîné et le chef du groupe est interprété par Daniel Craig, moins marmoréen et figé que dans les James Bond inutiles qu’il joue. Son frère Gus (Liev Schreiber) est excellent dans la brutalité furieuse ; on reconnaît moins les autres protagonistes mais le casting a su choisir avec finesse des visages épuisés, accablés, révoltés par l’injustice qui leur est faite, par cette vie de malheureux traqués dans la forêt où la neige s’est établie, où la faim est une préoccupation continue.

On n’adhère pas tout à fait, néanmoins ; c’est un peu long (2h17) et les épisodes sont un peu répétitifs ; le rythme n’est pas soutenu et haletant, comme il aurait dû être. Il y a bien sûr de très forts morceaux de bravoure, notamment la fuite du groupe , devant une attaque allemande, le jour de Pessa’h, la Pâque juive et une sorte de passage de la mer Rouge dans des marécages au moment où tous sont presque découragés. Il faut aussi, pour bien suivre, posséder une connaissance minimale de la conjoncture, savoir que la Biélorussie a été partagée en deux avant la guerre, que l’invasion allemande de juin 1941 a rebattu les cartes, comprendre d’emblée que, sur le territoire des Bielski combattent aussi des partisans soviétiques commandé par le général Viktor Panchenko (Ravil Isyanov), à la fois alliés et concurrents des Juifs…

Mais sur un épisode peu connu de la grande tapisserie de la Deuxième guerre, c’est bien intéressant.

 

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