Les mains d’Orlac

Chéri, fais-moi peur !

Les mains d’Orlac ne valent pas tripette, malgré un scénario assez intéressant et une distribution plutôt réussie où chacun fait le minimum syndical, mais le fait bien, des décors de qualité (et même un peu davantage, parce dès qu’on filme la Côte d’Azur du haut de la Grande corniche on émerveille toujours le spectateur) et une musique discrète mais efficace signée par Claude Bolling. Il faudrait voir ce qu’ont donné les autres adaptations du roman fantastico-policier de Maurice Renard qui avait été déjà tourné deux fois lorsque Edmond T. Gréville l’a réalisé en 1960 (une muette, Orlacs Hände de Robert Wiene en 1924, une hollywoodienne, Mad love, de Karl Freund en 1935) et plus tard, en 1962, Hands of a stranger de Newton Arnold, sans compter une dramatique télévisée, Les mains de Roxana de Philippe Setbon en 2013.

C’est dire si le thème vénéneux des greffes d’organe réalisées par des savants, peut-être fous ou mégalomanes ou dépassés par leur science (sans conscience, comme dit l’Autre) est un riche terreau pour l’angoisse. C’est naturellement, à la base, le mythe de Frankenstein et tous ses développements, c’est naturellement aussi celui des Yeux sans visage de Georges Franju (mais aussi celui des Prédateurs de la nuit de Jesus Franco). Et naturellement d’une quantité de pièces épouvantables (à tous les sens du terme) jouées jadis dans le temple de la chose, le fastueux Grand guignol, cité Chaptal, à proximité de Pigalle.

Donc Stephen Orlac (Mel Ferrer), pianiste virtuose perd ses mains (en tout cas les esquinte gravement) dans un accident d’avion ; un chirurgien bizarre mais tout aussi virtuose, le Professeur Volcheff (Donald Wolfit) lui en greffe une nouvelle paire ; mais ne seraient-ce pas celles de Louis Vasseur, un assassin guillotiné le jour même de l’accident et opportunément récupérées ? Orlac, qui s’étonne de ne pas retrouver plus vite et plus complètement son doigté et qui est sujet à de brusques crises d’irritation, commence à l’imaginer. Et, malgré toute la tendre attention que lui porte sa fiancée, Louise (Lucile Saint Simon), il se conforte peu à peu dans son obsession. D’autant qu’une épouvantable canaille, le prestidigitateur Néron (Christopher Lee), assisté d’une pauvre charmante créature qu’il domine et exploite, Li Lang (Dany Carrel) fait tout pour lui faire perdre les pédales.

On imagine assez facilement la suite : obsessions, manipulations, quiproquos, vengeances, horreurs diverses. Mais finalement, tout cela est bien lent et bien modéré : un tout petit peu de sang versé (la pauvre Li-Lang réellement transpercée par une quantité d’épées acérées dans le sarcophage du magicien, sans avoir pu s’échapper, comme d’habitude par la trappe qui lui permettait de s’esbigner et donc de faire réussir le numéro de l’illusionniste), une bagarre paresseuse, un happy end cousu de fil blanc (allez, je le dis : ce sont bien les mains de l’assassin qu’Orlac s’est vu greffer ; mais en fait Louis Vasseur, le tueur présumé, n’était pas coupable et a été victime d’une erreur judiciaire : Orlac peut donc légitimement jouir de ses appendices. Et toc !

On se demande tout de même comment Mel Ferrer, immense vedette internationale, auréolé des succès de Scaramouche, des Chevaliers de la Table ronde, de Guerre et Paix a pu venir jouer dans un petit film comme ça ; mais c’est tant mieux, parce qu’il n’est pas mal du tout ; Dany Carrel a toujours été à croquer, sa moue et sa gracieuse silhouette ont dû donner bien du souci aux ligues de vertu ; reste Christopher Lee, deux ans après Le cauchemar qui, redescendu des hauteurs de Transylvanie paraît tout de même un peu trop rageur et jaloux pour être totalement convaincant.

Mais surtout c’est le très mauvais rythme, répétitif et prévisible qui plombe Les mains d’Orlac ; on est à deux doigts de bâiller : ce n’est pas, pour un film à suspense, un très bon gage de qualité.

 

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