Les nerfs à vif

La haine qui rôde.

Une ville anonyme, sans intérêt apparent, du sud des États-Unis, peut-être la Floride. Une famille prospère, sans aspérité particulière. Le père, Sam Bowden (Gregory Peck), est avocat, sa femme, Peggy (Polly Bergen) semble rester au foyer, leur très jeune fille, à peine adolescente, Nancy (Lori Martin) paraît être une adolescente sans histoire. Ils ne sont ni antipathiques, ni particulièrement sympathiques, mais on devine dès l’abord que Sam l’avocat est un procédurier enquiquinant, un peu retors et sans doute peut prendre ici et là dans l’exercice de son métier quelques libertés avec la loi. Fait son apparition dans la bourgade un drôle de type à l’œil acéré et à la bouche mauvaise, Max Cady (Robert Mitchum). Il ne se cache pas : il vient de purger une peine de 8 ans de prison pour agression sexuelle qui lui a été infligée notamment du fait du témoignage de Bowden (tout cela est un peu trouble et flou).

Cady ne se cache donc pas et vient dire tout de suite carrément sa haine à Bowden : il sait que s’il a été lourdement condamné, c’est à cause de lui. On peut penser qu’il était fruste, sommaire, primaire avant sa condamnation mais on s’aperçoit qu’il a, durant sa détention, pioché textes et codes et qu’il est, d’une certaine façon, entré dans le monde des gens instruits qu’il déteste à proportion qu’il s’en ressent exclu. Ce qu’il veut, ça n’est naturellement pas (ou pas tout de suite) tuer Bowden et sa famille, c’est lui, c’est leur rendre la vie impossible, angoissante, hurlante ; c’est être là, présent comme un ange noir fatidique pour les mettre mal à l’aise, les inquiéter, leur faire perdre les pédales, les plonger dans l’anxiété perpétuelle, dans la crainte – on pourrait dire la trouille – de ce qui va leur arriver. C’est lui, évidemment, irrémédiablement, qui est le maître du jeu, qui pilote l’existence de la famille Bowden, qui ne sait pas comment s’en sortir. Ça commence petitement par l’irruption de Cady chez les Bowden, par l’empoisonnement du chien mais c’est une véritable épée de Damoclès qui pèse.

Cady pourrait presque se contenter de faire perdre les pédales aux Bowden, de les conduire vers des malaises de plus en plus irrespirables ; mais il n’est pas un malheureux injustement condamné qui viendrait chercher sa vengeance, comme le Comte de Monte-Cristo : non, c’est effectivement un assassin, un pervers qui a bien mérité sa condamnation et qui cède à nouveau à ses pulsions en tuant Diane Taylor (Barrie Chase) une fille facile rencontrée dans le coin. Mais comment arrêter la pesanteur de Cady ? En le faisant rosser par des nervis ? C’est lui qui s’en sort et qui obtient en plus que les autorités, suspicieuses, suspendent Bowden du Barreau.

Il faut donc que tout cela aille à l’affrontement violent et direct. On peut passer sur les péripéties qui conduisent à la victoire de la Morale sur l’Abjection, au fond d’un bayou qu’on devine poisseux, caniculaire et truffé de moustiques. Mais on devine tout de même que la respectable famille Bowden portera longtemps, inscrite au plus profond d’elle et de ses non-dits, le souvenir terrifiant de l’émergence, dans son train-train paisible bourgeois, de la haine à l’état pur.

Robert Mitchum domine de la tête et des épaules la distribution ; il y a une séquence où, coiffé d’un chapeau et vêtu d’un maillot rayé, il fait irrésistiblement songer au Freddy Krueger des Griffes de la nuit, qui est une des plus belles créatures nocturnes et terrifiantes créées depuis un demi-siècle. À son contact Gregory Peck se contente du minimum et les autres notoriétés de la distribution, Martin Balsam ou Telly Savalas font le job sans fioritures. Un bon film à scénario un peu prévisible, mais très bien rythmé.

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