Les Nibelungen 1 : la mort de Siegfried

La marche sur Worms.

Voilà que je m’attaque à un monument imposant dont la première partie dure 2 heures 20, (la seconde presque autant), qui est un film de 1924 – donc muet – et qui relate de vieilles légendes germaniques, de cette Germanie sombre et violente dont je me méfie beaucoup plus que du coronavirus, parce qu’elle est malheureusement beaucoup plus durable. Un film dont toutes les séquences sont de longueur excessive, dilatées au maximum, alors même que le récit mis en scène pourrait tenir sur un ticket de métro (ceux-ci devant disparaître à court terme, mon allusion ne sera pas comprise bien longtemps : tant pis !).

Le jeune et vaillant Siegfried de Xanten (Paul Richter), après avoir appris auprès des maîtres l’art de forger les épées, se prend de passion pour la belle Kriemhild (Margarete Schön), sœur de Günther (Theodor Loos), roi de Burgondie. Ceci se passe dans des époques improbables, un peu mythiques, légendaires, qu’on peut situer dans le Haut Moyen-Âge, périodes floues où cohabitent donjons et dragons. C’est d’ailleurs à une de ces bestioles que Siegfried, sur le chemin de Worms et de sa belle, s’affronte d’emblée. Le héros trucide le monstre et, sur le conseil d’un oisouille, se baigne dans son sang : cette onction est censée le rendre invulnérable. Mais manque de pot, ce genre de trucs ne marche jamais tout à fait : Thétis , plongeant Achille dans le Styx, oublie de mouiller le talon ; et Siegfried pendant son bain de sang reçoit entre les épaules une feuille de saule emportée par le vent qui l’empêche d’être absolument protégé.

Il a pourtant tout pour plaire : il s’est emparé, en tolchoquant le Nibelung Alberich (Georg John), du trésor immense forgé par ces nains légendaires qui, sous les montagnes, creusent des mines et forgent des joyaux. Il a reçu de lui une sorte de résille (un camail, en fait, sottement appelé heaume), qui lui permet, lorsqu’il le coiffe de devenir invisible et de prendre toute apparence qu’il souhaite. Parvenu à Worms, il séduit tout de suite Kriemhild, sœur d’un mièvre, mollasson, débile Günther, qui, lui, bave d’amour pour la souveraine du Nord Brunhild d’Islande (Hanna Ralph). Pour obtenir Kriemhild et parce qu’il est finalement bon garçon, Siegfried accompagne Günther pour conquérir Brunhild qui n’est pas – c’est le moins qu’on puisse dire – une fille facile. Grâce à ses pouvoirs magiques et à un sens certain de la tricherie, il aide assez Günther pour lui faire remporter les épreuves infligées pour gagner la main de la dame. Qui n’est qu’à moitié dupe, d’ailleurs et qui, de toute façon, n’a absolument aucune envie de céder au désir de son mari. Bonne pâte, Siegfried use une nouvelle fois des artifices dont il dispose et paraît dompter cette virago.

Mais en arrière-plan veille un de ces traîtres majuscules sont on ne se méfie jamais assez, Hagen de Tronje (Hans Adalbert Schlettow). Il met le bousin partout, apprend de Kriemhild, la femme de Siegfried où, sur son corps, est exactement placée sa vulnérabilité et le tue traîtreusement. Brunhild, très gênée, se suicide, Kriemhild jure de venger son mari. Günther est tout de même largement le dindon de la farce.

Bon ; j’ai l’air de me moquer comme ça et, de fait, l’intrigue n’est pas d’une extrême originalité ; mais assez curieusement, malgré la lourdeur et les tics du cinéma muet, il y a tant d’images fortes, de perspectives intéressantes, d’angles de vue surprenants que peu à peu on se laisse avoir. Sans doute, sûrement, est-ce trop long et pour supporter ces heures un peu déclamatoires, ostentatoires, orgueilleuses, emphatiques, il faut avoir quelque habitude du cinéma. On peut d’ailleurs se demander comment les spectateurs de 1924 pouvaient admettre ces longueurs, d’autant que, lorsque nous regardons les films de cette époque, nous sommes soutenus, aidés, par la musique d’accompagnement, par les bruitages ajoutés (le martèlement des marteaux de la forge au début, par exemple) que ne pouvaient pas ressentir les clampins des années folles, lorsqu’un pianiste esseulé accompagnait en pleine improvisation les images qu’il découvrait sur l’écran.

Nul doute que Fritz Lang avait du talent ; nul doute non plus qu’il ne soit pas né tout à fait à la bonne époque, peut-être dix ans trop tôt ; son parcours bizarre, ponctué de bien grands films (M le maudit,House by the river, Les contrebandiers de Moonfleet, Le tigre du BengaleLe tombeau hindou) et de grandes nullités (Le Docteur Mabuse, Le testament du Docteur Mabuse, Le diabolique Docteur Mabuse), d’allers-retours entre l’Allemagne, la France, les États-Unis ne lui ont sans doute pas permis d’être un grand cinéaste. Sauf aux yeux de Jean-Luc Godard, ce qui le plombe passablement.

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