Les roseaux sauvages

La confusion des sentiments.

Il n’y a pas de genre privilégié au cinéma, pas davantage qu’en littérature, ni genres inférieurs, ni mauvais genres, ni genres à prendre avec des pincettes. On peut tout faire, tout décrire, tout conter, aborder le récit comme on le souhaite, se faire le narrateur, prendre de la distance, être omniprésent, voir les choses de haut, multiplier les ellipses narratives ou donner la raison du moindre clin d’œil. On peut tout faire, c’est une question de qualité, de talent et – quelquefois – de génie. Essayez donc de conter comment vous avez du mal à vous endormir, étant enfant, si vous n’avez pas pu recevoir le baiser apaisant de votre maman : il y a lieu de penser que vous irez au devant de graves déconvenues.

On sent percer l’autobiographie sous chaque image des Roseaux sauvages et André Téchiné ne l’a d’ailleurs jamais dissimulé. Choix de cette campagne magnifique, blonde des pierres et verte des prairies et des beaux grands arbres, clarté des rivières qui courent vers la Garonne, pays de cocagne avec les plus beaux produits du monde, douceur de la vie. Un pays qui n’a plus vu passer d’envahisseur depuis plus de mille ans et l’invasion arabe.

Mais un pays, bien sûr, dont la mort n’est pas absente. Téchiné, né en 1943, avait donc 19 ans aux tristes moments des derniers soubresauts de l’Algérie française. Et le film est très précisément daté du printemps et de l’été 1962 ; à un certain moment, Henri Mariani (Frédéric Gorny), le jeune Pied-Noir bouleversé de désespoir écoute son transistor qui relate en direct la terrible fusillade de la Rue d’Isly, le 26 mars, où des Français ont tiré sur d’autres Français. 80 morts et 200 blessés.

Ne pas s’étonner non plus de l’importance donnée au Parti communiste. Le Parti, dans le Lot-et-Garonne, où se situe le film, y avait, surtout dans l’arrondissement de Marmande, une implantation rurale très forte, qui s’était notamment développée sur les questions du métayage. Et d’ailleurs il est bien dit dans les film que les Bartolo, parents de Pierre, le jeune marié du début qui sera tué en Algérie (Eric Kreikenmayer) et de son jeune frère Serge (Stéphane Rideau), immigrés italiens, sont métayers. Quant à Mme Alvarez (Michèle Moretti), l’exigeant professeur de Lettres, son nom peut la rattacher aux Républicains espagnols réfugiés en France après 1939 et la victoire du Soulèvement national.

Le cadre autobiographique est donc parfaitement constitué. Et je suppose bien que les relations de François Forestier (Gaël Morel), naguère brillant élève d’un collège religieux qui se retrouve on se sait trop comment (ou bien j’ai manqué d’attention un instant) dans un petit patelin d’Aquitaine avec son environnement social sont bien celles éprouvées par Téchiné lui-même : supériorité intellectuelle, goût des arts et des lettres, intérêt pour le cinéma (y compris le pire : on le voit avec son amie Maïté Alvarez (Élodie Bouchez) sortir d’un film d’Ingmar Bergman ; il est vrai que nous faisons tous ça pour rupiner aux yeux des filles !).

Que le jeune François découvre alors qu’il n’est attiré sexuellement que par les garçons fait partie de la confession. Je suis seulement un peu étonné que ce soit en classe Terminale, à 18 ans, que son camarade Serge lui propose une partie de touche-pipi qui va l’éblouir. D’ordinaire, ce genre de pratiques, due à l’intense frustration ressentie, bien avant la pilule, par de jeunes pousses vigoureuses, ardentes, au moment où la puberté déploie toute sa sève éblouissante, s’effectuait bien avant, en classe de Troisième, par exemple. Que François ait pu demeurer innocent jusque là est admissible, mais Serge, jeune campagnard, de cette campagne où les filles font souvent moins de chichis que les demoiselles de la ville, m’étonne. Pourtant ce qui est bien justement vu, c’est que la masturbation réciproque, vue comme une révélation par l’un est prise par l’autre pour un banal pis-aller.

Enfin, bon, ça fait tout de même un film assez intéressant, très bien filmé, presque un peu trop décoratif. Les acteurs ont des qualités mais sont restés au bord de la route, même Élodie Bouchez, qui avait un bien joli sourire et qu’on a perdu de vue depuis la si réussie Vie rêvée des anges en 1998…

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