Les secrets professionnels du docteur Apfelglück

Petites horreurs minuscules.

Est-ce que Les secrets professionnels du docteur Apfelglück n’est pas, d’une certaine façon la conclusion et le chant du cygne de toute une période du cinéma comique français irrigué par les équipes mélangées d‘Hara-Kiri (et de Charlie Hebdo), du Café de la Gare et du Splendid, qui portaient une veine de dérision, de sarcasme, d’outrance et qui ont donné leurs plus éclatantes comédies dans les quinze ans qui ont précédé le film à sketches multi-réalisé par Alessandro CaponeStéphane ClavierHervé PaludMathias Ledoux et Thierry Lhermitte ? À partir de Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine de Coluche (1977) et surtout des merveilleux Bronzés (1978), c’est une suite de contes et récits déjantés. Il faut toutefois bien reconnaître que la plupart manquent totalement de qualité, que ce soient Les héros n’ont pas froid aux oreilles (1979), Elle voit des nains partout (1982), ou Les cigognes n’en font qu’à leur tête (1989). Et je ne cite que ce dont je me souviens.

Tous ces films (je mets à l’écart les deux Bronzés, qui sont de petits chefs-d’œuvre) ont quelques qualités et d’immenses défauts. On y trouve des passages délicieux, fous furieux, hilarants et de longues séquences d’une vacuité absolue qui confinent au – et atteignent souvent le – foutage de gueule. On a la sensation d’assister aux retrouvailles d’une bande de chouettes copains qui passent entre eux de très bons moments et se régalent d’être ensemble pour retrouver des blagues à usage interne. Et après tout, ça doit être à peu près ça : on s’offre de bons moments entre vieux complices, on boit des coups, on fume des pétards, on saute des filles et ça bâtit tant bien que mal 90 minutes, un peu plus, un peu moins, subventionnées par le système généreux de financement du cinéma français. Pourquoi pas ?

J’ai l’air de faire le grognon et de me draper dans les vertueux oripeaux d’un comptable hépatique. Rien de ça ! Tout ça n’est pas vraiment du cinéma mais du café-théâtre filmé, évidemment, mais ça n’interdit pas le talent de s’exprimer. Il y a ici et là des séquences d’une vraie drôlerie, d’une drôlerie irrésistible ; le malheur est qu’elles sont souvent noyées au milieu de récits laborieux et languissants. C’est d’ailleurs un des reproches principaux qu’on doit faire à ces Secrets professionnels. Le film, si bref qu’il est (95 minutes), composé de quatre sketches principaux (avec ici et là quelques évasions, quelques broderies) tire souvent à la ligne et dilue beaucoup trop sa verve. Dans chacune des quatre histoires, même les plus réussies – le tournage d’un film et les mésaventures d’un jeu télévisé – il y a des lourdeurs, de nombreuses minutes qui pourraient être supprimées, des répétitions inutiles, une sorte de volonté obsessionnelle d’exploiter tous les recoins de la vis comica. Et donc ça manque souvent de ce rythme qui est le meilleur atout d’un film réussi, singulièrement d’un film comique.

On estime avec raison que le premier sketch est démesurément étiré, et sans être tout à fait dépourvu de qualités, il est assez faible. Il utilise la vieille recette du voyageur contraint par l’orage à se réfugier dans une auberge patibulaire. Ce voyageur, Martineau, c’est Jacques Villeret, accueilli par Louis (Ticky Holgado) et sa femme, la nymphomane Georgette (Claire Nadeau) qui paraissent séquestrer et battent comme plâtre la vieille Maman Tonnerre (Micha Bayard). Atmosphère bizarre, bruits inquiétants, couloirs ombreux, hystéries collectives, éclairs et tonnerre. Ça commence plutôt bien, mais ça s’englue vite et ça ne parvient pas à vraiment trouver une chute intelligente.

Le deuxième sketch est mieux inspiré : c’est le tournage d’une brève séquence de film de résistance en Italie où évoluent notamment Daniel GélinPhilippe Bruneau, Véronique GenestAlessandro Haber, sous la conduite du metteur en scène Ennio Fantastichini et sous le regard de nombreux techniciens. Rien ne fonctionne : il y a toujours un acteur qui se trompe de texte, un objet parasite qui apparaît dans le plan, une erreur de la script-girl et surtout une bougie qui doit être soufflée et ne veut pas s’éteindre. On rit franchement lors de plusieurs épisodes, mais là encore on ne sait pas finir et on s’en tire par une pirouette.

Le troisième segment me semble le meilleur. Un jeu télévisé grotesque, tout aussi répugnant que tous ceux dont les télévisons font leur miel. Une très jolie candidate, Anne Métayer (Laurence Ashley), qui a triomphé plusieurs jours de suite et couchotte un peu avec l’animateur vedette Gérard Martinez (Alain Chabat), lui-même amant occasionnel de la directrice des programmes (Dominique Lavanant). Et le challenger Émile Leberck (Roland Giraud), violent, vulgaire, macho, raciste… et imbattable. Les premières minutes sont absolument délicieuses, surtout lorsqu’on découvre que les horreurs proférées par Émile Leberck, loin de scandaliser les téléspectateurs les ravissent. Et puis, malheureusement encore, on s’embourbe.

Enfin le quatrième sketch part d’une idée assez originale : le docteur Norbert Apfelglück (Thierry Lhermitte) se retrouve dans un curieux paradis paisible où l’on ne retourne sur terre – pour y vieillir – que si on dit Oui ou Non, le nouveau séjour sur terre s’accroissant à chaque fois ; autrement dit on peut se retrouver doté d’une compagne ou d’un compagnon qui a pris vingt, trente ou quarante ans alors qu’on est resté soi-même un jeune homme. D’où diverses variations amusantes. Mais le sketch est encombré par une histoire parallèle et parasite où Gérard Jugnot montre qu’il peut quelquefois être piètre.

Doux Jésus ! Voilà un message de désespérante longueur pour un si petit film. Petit, médiocre et gentil. Si on aime les acteurs…

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