Les sévices de Dracula

Aurait pu être davantage poivré.

Voilà un film qui peut séduire. Le scénario, notamment, est suffisamment élaboré pour captiver un peu les spectateurs de ce cinéma de genre, à qui il en faut beaucoup pour s’étonner. En effet, depuis que les amateurs d’histoires vampiriques fréquentent les trois sources les plus notoires du mythe, ils connaissent bien leurs grammaires habituelles. Trois sources, disais-je : la plus féconde est, à la suite de l’immense roman de Bram Stoker toutes les variations autour du comte Dracula ; la deuxième, qui s’appuie sur une certaine réalité historique, tourne autour de la comtesse Bathory, le Barbe-bleue féminin ; et donc la troisième (et en fait la plus anciennement écrite) est issue du court récit (90 pages dans le volume de La Pléiade) de Sheridan Le Fanu, la comtesse Mircalla Karnstein.

C’est à cette dernière source que se rattachent Les sévices de Dracula ; comme on l’a amplement dit, le titre est un des attrape-nigauds couramment employés par les distributeurs français puisque le seigneur des Carpathes n’est jamais évoqué, ni même cité. Il me semble pourtant que le titre anglais, Les jumelles du diable permettait de faire miroiter un petit soupçon érotique vénéneux qui n’aurait pas desservi le succès commercial.

Bagatelles. Je reviens à Mircalla Karnstein. Le bref roman de Sheridan Le Fanu n’est pas susceptible de développements aussi amples et complexes que le chef-d’œuvre de Bram Stoker : il faut donc s’en évader suffisamment pour à la fois conserver un fil rouge mais aussi vaticiner dans les parages de la comtesse dont le plus évident apport aux mythes vampiriques est la forte inclination qu’elle ressent pour les jeunes filles de son propre sexe.

Au demeurant rien de cela dans Les sévices de Dracula : tourné quelques années plus tard, aux heures où le cinéma était devenu encore plus hardi et la censure moins insistante, l’histoire des deux ravissantes jumelles fascinées par le comte Karnstein (Damien Thomas), lointain descendant de Mircalla, aurait pu comporter beaucoup plus de soufre et même quelques aspects incestueux ; comme dans, par exemple Du sang pour Dracula de Paul Morrissey, sorti en 1974, trois ans plus tard. Rien de cela dans l’honnête film de John Hough dans les derniers feux de la Hammer. Mais ce n’est tout de même pas mal du tout.

D’abord le film, pourtant tourné à petit budget a pu, par un coup de hasard heureux bénéficier d’une partie des décors d’une superproduction, Anne des mille jours de Charles Jarrott, ce qui permet de donner aux Sévices de Dracula un tour très élégant. Et même si l’on voit un peu trop souvent les chevauchées dans la forêt sombre des puritains qui chassent et brûlent les sorcières, ce genre de cavalcade fait toujours de l’effet. Surtout, en face du satanique Karnstein il n’y a pas un héros positif sans peur et sans reproche, mais une sorte de Savonarole fanatique, Gustav Weil, parfaitement interprété par Peter Cushing. C’est lui le chef des puritains suscités et c’est lui qui va accueillir sous son toit ses deux nièces orphelines, Maria et Frieda (les jumelles Mary et Madeleine Collinson) qui vont vite taper dans l’œil vicieux du comte Karnstein.

Et il se trouve que, contrairement à la pure Maria, Madeleine ne rêve que de débauche et de liberté. La différence de caractères et la gémellité offrent évidemment de larges possibilités pour un récit plutôt bien mené. Récit seulement un peu alourdi par la présence – hélas indispensable – du beau garçon sain, viril et courageux, le maître de musique Anton Hoffer (David Warbeck) qui manque tout à fait d’épaisseur.

Il ne faut pas aller trop haut dans le dithyrambe, tout de même : les crémations successives des pauvres filles prétendues sorcières ne valent pas celle qui ouvre Le masque du démon de Mario Bava. Et les prières du comte Karnstein adressées au Prince des Ténèbres sont bien moins impressionnantes que celles du Masque de la mort rouge de Roger Corman. John Hough manque un peu d’ambition, mais il donne au public un film très honnête et jamais ennuyeux.

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