Les visiteurs du soir

La bonté du Diable.

Enfin revu dans une excellente édition, nettoyée de rayures et de tremblottis gélatineux, le film m’a fait une drôle d’impression… C’est vraiment un océan de niaiserie, parcouru par des vagues de puissant ennui, mais sauvé – et un peu au delà ! – par quelques très beaux îlots et deux archipels magnifiques, Arletty et Jules Berry.

Ma note de 5 décernée sur de fréquentes mais anciennes visions demeure ; je suis pourtant conduit à la décomposer, comme à l’école…

D’abord un point, au moins, pour le titre, exceptionnel dans la puissance d’évocation, qui n’est sûrement pas pour rien dans la survivance du mythe et qui a tant et tant inspiré qu’il est presque passé dans les expressions communes.

Puis 6 et 6 – notes maximales – aux acteurs cités, dont la gloire ne serait pas ce qu’elle est sans ces rôles maléfiques qu’ils interprètent, l’une (Arletty) – qui n’a peut-être jamais été plus belle – dans le détachement glacé et désespéré, l’autre (Jules Berry), dans l’emphase, la cruauté, le sarcasme, l’horreur cynique… Dès que le Diable entre en scène, chauffe ses mains au feu qu’il aime et qui l’aime, dès que la méchanceté jaillit dans son œil éclatant, les lenteurs de la construction, les facilités de scénario, l’outrance des dialogues terriblement écrits, terriblement verbeux, qu’ils soient ceux des nobliaux ou des manants, se laissent oublier.

6 et 6, plus 1, cela fait déjà 13 ; mais on va retirer, hélas, pas mal de choses : l’insignifiance des autres protagonistes, les secondaires (Jean d’Yd, le montreur d’ours, Gabriel Gabrio, le bourreau, Roger Blin, le montreur de nains), comme les principaux (Marie Déa, Anne, l’héroïne positive, qui n’est d’ailleurs même pas jolie, Marcel Herrand, Renaud, le méchant seigneur, si extraordinaire un peu plus tard en Lacenaire des Enfants du Paradis, Fernand Ledoux, le baron Hugues, d’une terrible platitude, jusqu’à en faire presque oublier qu’il fut presque en même temps Goupi mains rouges… Le pire, l’accablant, c’est Alain Cuny, théâtreux à la voix et au jeu inadaptés au cinéma, qui alla jusqu’à tourner Emmanuelle et passa un temps pour un grand comédien…

On va retirer aussi la musique, pourtant de Maurice Thiriet et surtout de Joseph Kosma, qui sert bien mal les architectures poétiques de Jacques Prévert (Démons et merveilles, Le tendre et dangereux visage de l’amour, qui méritaient bien mieux) ; on va retirer le décor de carton-pâte, les trucages nigauds, maladroits, sans poésie aucune. On va retirer 8. Reste bien la note de 5…

Je ne dis pas qu’il faudrait zapper, n’écouter que Gilles (Arletty) dire que personne n’aime, tout le monde fait semblant, ne s’émerveiller que de la veulerie diabolique Rien ne m’échappe, personne ne peut m’échapper ! Les orages, la pluie, la grêle, le vent, les naufrages, c’est moi ! Les maladies, la guerre, avec ses beaux plaisirs, la peste, la famine, la misère, le meurtre, la haine, la jalousie, c’est moi !… La mort… c’est encore moi !

Je ne dis pas qu’il faudrait zapper pour quelques très beaux morceaux de bravoure l’étendue ennuyeuse du récit…mais quel film ç’aurait pu être !

 

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