Les voleurs

Linge sale en famille.

Je ne connais pas tellement le cinéma d’André Téchiné. Je n’ai vu de lui qu’un bout de J’embrasse pas, le monde glauque de la prostitution masculine me glaçant absolument ; et puis Ma saison préférée, plutôt apprécié, malgré des bizarreries décontenançantes et déjà tourné avec Catherine Deneuve et Daniel Auteuil comme le sont Les voleurs. Ce n’est pas tout à fait là le cinéma que j’aime, quoiqu’il faille reconnaître au réalisateur une grande habileté dans la direction d’acteurs et une impeccable virtuosité narrative.

Les voleurs, c’est tout de même un entrecroisement compliqué, mais parfaitement clair de temps, de discours et de récits.

De temps, parce qu’il y a un jonglage très efficace avec des flashbacks qui ne sont jamais gratuits ou inutiles et une construction narrative élégante, qui paraît en tous cas sans effort entre les différents périodes. Téchiné se sort supérieurement bien de la gageure qui consiste à filmer à la fois des séquences d’action et d’autres qui s’étalent sur plusieurs semaines (ou mois).

J’entends par séquences d’action, en m’exprimant mal, des séquences qui relatent une action, comprimée dans un temps bref. Par exemple celles, initiales, où est rapporté à la maison de famille le corps d’Ivan (Didier Bezace), le bandit qui vient d’être tué lors d’un casse et le lendemain l’arrivée pour les obsèques d’Alex (Daniel Auteuil), le frère cadet. Ou, bien entendu, plus avant dans le film, celle du casse et de la mort d’Ivan. Et parallèlement, la mise en perspective de l’histoire des relations de la jeune voleuse Juliette (Laurence Côte) avec Alex et aussi avec Marie (Catherine Deneuve), qui enseigne la philosophie à l’Université. Grande souplesse, donc, dans cette mise en scène des différents rythmes du Temps.

Entrecroisement du discours, énoncé de plusieurs points de vue : celui de Justin, gamin d’une dizaine d’années, fils d’Ivan (Julien Rivière, un peu agaçant au demeurant), celui d’Alex, celui de Marie.

Entrecroisement de récits : l’amour (ou le désir ou je ne sais quoi) ressenti pour Juliette par un homme et une femme, à qui, finalement, elle ne s’attache pas. Et la vie et le quotidien d’une bande de truands lyonnais, qui ne fait pas partie du haut du panier criminel, mais qui connaît une belle prospérité, d’autant que son chef, Ivan (Bezace, donc) est le descendant d’une lignée de malfaiteurs établie dans la région. Victor (Ivan Desny), le père d’Ivan et d’Alex, semble avoir renoncé à la criminalité active, mais il est bien le patriarche de la bande. Et c’est contre lui et son frère Ivan qu’Alex a rompu, pour entrer dans la police et y mener une petite carrière subalterne dans un commissariat de quartier…

C’est là où le bât me blesse un peu, tant cette trahison du clan, ce retournement de veste paraît improbable, même si Alex est, de toute évidence, un type assez curieux, renfermé, buté, amer, rigoriste. Il le dit à Juliette, qu’il baise avec une certaine sauvagerie : il n’aime pas dormir avec quelqu’un, il n’aime pas les corps nus. Mais même ainsi, il y a un truc qui ne fonctionne pas très bien à mes yeux. J’admets mieux que Marie se suicide, sans doute moins à cause de la disparition de Juliette que d’une vague de tristesse devant la vacuité de son existence.

Tout ce que je viens d’écrire pourra sembler plein de contradictions, puisque j’évoque l’intelligence du récit mais aussi les improbabilités du scénario. Ce ne sera pas faux : c’est à la fois artificiel et convaincant.

Inutile de dire la qualité du jeu de Catherine Deneuve et de Daniel Auteuil ; mais on regrette bien que Laurence Côte ait à peu près disparu des écrans (sauf dans des films confidentiels) depuis vingt ans, tant la qualité et la ductilité de son interprétation sont intéressantes…

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