L’étrangleur de Boston

Danse au dessus du gouffre.

Je suis plutôt partagé sur L’étrangleur de Boston et ma note est fluctuante : film simplement moyen ou au dessus de la moyenne ? Selon que je pense à tel ou tel épisode, je vague et j’erre entre ces orientations. Je place en négatif la trop longue durée du film, la répétitivité de plusieurs épisodes, l’abus – qui m’a quelquefois exaspéré – de cette pourtant très bonne idée de l‘écran partagé (split-screen je crois), l’abandon de certaines pistes qui m’auraient semblé séduisantes à suivre. En même temps je me dis qu’un sujet aussi complexe et le parti justement pris de traiter à la fois l’atmosphère de l’époque, la longue accumulation des crimes, la traque du tueur, sa capture, l’exploration de sa mentalité justifient durée et caractère froid, documentaire souvent, en tout cas non anecdotique du film de Richard Fleischer.

Adapté d’un roman de Gerold Frank, lui-même inspiré par l’histoire vraie, mais terriblement complexe, du tueur Albert DeSalvo, évidemment coupable de plusieurs des meurtres qui lui ont été assignés mais vraisemblablement pas de tous, L’étrangleur de Boston est une sorte d’épure, ce que l’on n’attendait pas forcément de l’efficace Richard Fleischer. Onze femmes – d’abord des vieilles dames, puis des plus jeunes – sont tuées, violées avec des objets (le film est d’une grande pudeur là-dessus) par un type insaisissable. Insaisissable parce qu’il ne fait pas partie des habituels gibiers de police, connus, répertoriés, surveillés de longue date par les services de police.

Un des meilleurs aspects du film est précisément la traque faite par la police de tous les mecs singuliers, bizarres, obsédés, maniaques, exhibitionnistes, pervers, invertis dont le tueur pourrait bien faire partie. Ah là là ! J’ai écrit invertis, c’est-à-dire homosexuels. Aujourd’hui, où ce qu’on appelle une orientation est plutôt un titre de gloire, la recherche par les policiers du potentiel tueur se fait dans les milieux gays paraissait évidente, flagrante, sans contestation.

Je me moque un peu, mais L’étrangleur de Boston passe facilement, à mes yeux narquois, pour un film homophobe et misogyne. Misogyne ? Mais oui ! Combien de fois les policiers, dans le cours de l’enquête, constatent-ils que, malgré les avertissements rigoureux qui leur sont lancés à tire-larigot par les journaux et les télévisions, les femmes seules n’hésitent pas trop longtemps à ouvrir leur porte à un homme un peu habile et convaincant ? D’ailleurs, dans l’histoire réelle, Albert DeSalvo entrait dans les appartements en prétendant chercher des jeunes femmes susceptibles de devenir mannequins ; et ça marchait paraît-il très bien (2000 femmes violées selon lui, 350 selon la police). Donc un film qui, aujourd’hui ne pourrait pas être tourné, ou tourné avec un lourd regard moraliste, qui retrouverait, d’ailleurs, la pesanteur de la dernière partie du film : le dédoublement de personnalité qui frapperait DeSalvo (Tony Curtis) et qui ne justifierait rien, mais expliquerait le comportement monstrueux de l’assassin.

Des dédoublements de personnalité, dans l’histoire de la psychiatrie, il n’y en a pas des masses. Appelée Trouble dissociatif de l’identité, cette psychose est plus souvent diagnostiquée aux États-Unis que partout ailleurs où elle est regardée avec un certain scepticisme. Est-ce pour cela, à cause de mon esprit profondément européen et cartésien que j’ai assez peu apprécié la dernière demi-heure du film où le procureur John Bottomly (Henry Fonda) affronte, dans une sorte de duel à mes yeux artificiel, le tueur qui – apparemment – n’a pas conscience des horreurs qu’il a commises ? C’est possible.

Ce que je viens d’écrire ne remet pas le moins du monde en cause l’admiration profonde ressentie pour l’interprétation de Tony Curtis, sûrement une des plus fortes de sa belle carrière. S’il n’intervient que durant la deuxième moitié du film, il écrase, dès qu’il apparaît, tout le reste de la distribution. Qui, pourtant, n’est pas de second rang ! George KennedyMurray Hamilton en policiers déterminés, surtout Henry Fonda, c’est sacrément du haut de gamme. Mais ils pâlissent devant la composition de Tony Curtis qu’à vrai dire je n’aurais jamais imaginé aussi dense et aussi complexe. Allez, rien que pour cela ma note passe la moyenne.

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