L’homme léopard

La nuit ne suffit pas.

Comme Jacques Tourneur n’a jamais bénéficié dans sa carrière hollywoodienne de la confiance absolue des financiers, il lui a fallu compenser la relative modestie des moyens qui lui étaient alloués par de l’inventivité. Et, ma foi, l’utilisation d’artifices et de bouts de ficelle ne donne pas toujours de mauvais résultats puisqu’elle permet à l’esprit de divaguer et de substituer à la crudité de l’image brute des atmosphères souvent bien plus inquiétantes. Tourneur a excellé dans cette technique de l’allusif et du suggéré. C’est en tout cas avec ce procédé qu’il a tourné sa trilogie de la peur : La félineVaudou et L’homme léopard.

Mais enfin il faut bien dire tout de même que ce parti-pris très esthétique peut montrer assez vite ses limites : pour qu’il puisse ne pas lasser, il faut qu’ils sous-tende un scénario à peu près élaboré, qu’il illustre ce scénario et ne se limite pas à proposer au spectateur des scènes d’ambiance où le jeu des obscurités, des lumières diffuses, des sons angoissants ou même seulement surprenants ne forment pas l’exclusive démarche du réalisateur.

Personne ne contestera que Jacques Tourneur sait obtenir de ses directeurs de la photographie et de ses ingénieurs du son des effets tout à fait réussis ; la plupart des scènes de L’homme léopard se déroulent dans la nuit d’une bourgade anonyme du Nouveau Mexique : les foucades du vent, les nuages qui passent, le hurlement d’un train qui survient, la pâle lumière des réverbères, les reflets qui rendent inquiétants les moindres recoins, les gouttes d’eau qui tombent régulièrement et scandent la montée des périls, tout cela est parfaitement réussi.

Mais la minceur du scénario ne permet pas autre chose qu’un regard finalement assez détaché. De quoi s’agit-il ? un léopard noir, loué au vieil Indien Charlie How-Come (Abner Biberman) par Jerry Manning (Dennis O’Keefe) pour le numéro de cabaret de sa maîtresse Kiki Walker (Jean Brooks) s’échappe et s’enfuit. Des meurtres sauvages s’ensuivent, frappant tous des jeunes femmes isolées.

Mais le léopard est-il le vrai responsable ? Ma foi, si on n’a pas compris au bout des dix premières minutes de ce moyen métrage (66 minutes) qui est le tueur, c’est qu’on n’est jamais allé au cinéma, à tout le moins qu’on ne connaît pas les règles vraiment très élémentaires du suspense !

Après tout, pourquoi pas ? Le spectateur omniscient n’a pas forcément besoin de fortes incertitudes et s’il est un peu bonne pâte, un peu complaisant, se satisfait bien, se contente bien de suivre avec sympathie le déroulement des péripéties.

Mais L’homme léopard est vraiment en dessous de la limite : on a le sentiment que le réalisateur a hérité de trois idées minimales et a été chargé de les mettre en scène avec le minimum de frais et le maximum de talent ; on reste donc plutôt sur sa faim en espérant, ici et là, que le récit, trop prévisible, va bifurquer, va surprendre, va interloquer. Rien de tout cela et aussi une fin qui est un peu plus que ridicule.

Tout cela n’enlève en rien l’admiration que l’on doit porter à Jacques Tourneur, cinéaste de grand talent, qui n’avait sans doute pas une assez bonne appréciation en son réel talent pour essayer d’obtenir de meilleurs moyens et des scénarios plus élaborés.

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