Lions love (…and lies)

La récréation est finie.

On prête à Winston Churchill un aphorisme narquois et bien dans sa manière : Les prévisions sont particulièrement difficiles à faire, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir. N’empêche que le foisonnement démolisseur et anarchique de Mai 68 et des années qui ont suivi pouvait sans trop de difficultés être lu dans l’épanouissement bizarre de ce qu’on a appelé la contre-culture, née sur les campus étasuniens à base de LSD et d’autres substances hallucinogènes, de liberté sexuelle débridée et de musiques discordantes. Dès les années 66 ou 67, on connaissait déjà en France les noms de Jack Kérouac ou de Timothy Leary. Il ne fallait pas être si malin que ça pour imaginer que tout ce qui rassemblerait soleil, musique et sexe était promis à un bel avenir.

Après tout, pourquoi pas ? Même de sages adolescents pouvaient n’être pas rebutés par les étranges promesses qui leur étaient faites qu’ils pourraient avoir du succès sans l’élémentaire effort du travail. La prospérité du Monde civilisé était telle et paraissait promise à un si grand avenir sans limite concevable que l’Homme occidental avait derrière la tête l’idée que ses ancêtres depuis deux ou trois mille ans avaient bien assez travaillé pour que lui, leur rejeton, en recueillît les fruits. Une sorte de Paradis terrestre avant les perverses manigances du Démon, avant la Chute.

Ben voyons ! N’empêche que de beaux talents (à défaut d’être de bons esprits) comme Agnès Varda ont marché dans ces fariboles, dans ce qui fut traduit un peu plus tard par le slogan socialiste Changer la vie. Remarquez bien Varda, dès 1965 avec Le bonheur dynamitait déjà un peu la vision traditionnelle des choses avec son François (Jean-Claude Drouot) bien naïf qui aurait bien tout à fait aimé conserver à ses côtés à la fois sa femme Thérèse (Claire Drouot) et son amante Émilie (Marie-France Boyer). Dans le vaudeville, on appelait ça jadis un ménage à trois.

Dans Lions love, c’est la figure inversée de ce trio qui se présente : non plus un mâle et ses deux nénettes, mais une fille et ses deux amants. La chose est entendue d’emblée (au contraire du Bonheur et de sa narration classique). Les trois jeunes gens, beaux et chevelus (dotés d’une crinière de lions, d’où le titre) sont Viva (actrice liée à Andy Warhol), Jim (James Rado) et Jerry (Gerome Ragni). Ce petit monde vit dans une belle villa de Beverley Hills et passe son temps à glandouiller au soleil, dans la piscine, dans le lit et devant la télévision. Ils apprennent dans cet heureux état de stupéfaction la tentative d’assassinat d’Andy Warhol (par l’ultra-féministe Valerie Solanas) le 3 juin 1968 et l’assassinat tout à fait réussi de Robert Kennedy le 6 juin. Pendant ce temps une copine à eux, Shirley Clarke, réalisatrice d’avant-garde (Doux Jésus !) tente de se suicider parce qu’on lui a refusé le final cut de son film.

J’allais oublier qu‘in fine, les trois sacripants, costumés lisent des extraits de textes de Saint Augustin, Saint Jean de La Croix et Sainte Thérèse de Lisieux.

Voilà, c’est tout. J’aime beaucoup Agnès Varda, je suis tout autant bouleversé aujourd’hui que naguère par Cléo de 5 à 7, Sans toit ni loi. Et aussi par Le bonheur et Daguerréotypes. Il faut bien admettre que les meilleurs, ceux dont on est intellectuellement le plus proche peuvent être aspirés par des trous noirs

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