Luke la main froide

L’insoumis radical.

J’évacue tout d’abord ma bile noire et le sentiment d’invraisemblance et d’irréalisme qui me saisit devant les films de bagne étasuniens. Comme dans Les évadés de Frank Darabont, voilà qu’on réunit dans les mêmes lieux et sous les mêmes chaînes des criminels profonds (il est dit au tout début que l’un des pensionnaires du camp de travail y est placé à perpétuité) et de simples délinquants. Car on ne peut pas dire que Lucas Luke Jackson (Paul Newman) soit, pour avoir démoli, un soir d’ivresse, quelques parcmètres, un individu si dangereux pour la société qu’il doive accomplir deux ans de pénitencier. Ma méconnaissance du système carcéral des États-Unis est certaine, mais je crains bien que ce qui est représenté dans les films ait quelque rapport avec la réalité. Heureux détenus de notre pays qui sont, selon le degré de leur peine répartis entre Maisons d’arrêt, Centres pénitentiaires et Maisons centrales (réservées aux plus longues peines) : ce ne sont pas du tout les mêmes détenus qui les peuplent.

Si nous passons sur cette incroyable situation et admettons aussi la férocité de la réglementation imposée dans la colonie pénitentiaire, la sévérité de la discipline, les gardes armés à la gâchette facile, les chiens féroces, la pratique torturante du cagibi, la dureté des travaux forcés, si nous nous laissons entraîner au delà de ce qui peut paraître invraisemblable à un Européen mais qui est peut être bien le sort commun des prisonniers du Nouveau Monde, Luke la main froide est un film formidable, porté par le talent lumineux de Paul Newman et la curieuse atmosphère qui règne au sein du groupe rassemblé, bagnards et gardiens mêlés.

Luke, plus tard surnommé La main froide, parce qu’il est parvenu à remporter une partie de poker sans avoir quoi que ce soit dans son jeu, est un rebelle-né. Bien davantage qu’un révolté agressif et hargneux contre le monde entier. C’est sûrement en ceci qu’il décontenance ses compagnons de misère et que, malgré l’emprise qu’il exercera de plus en plus sur eux, il leur demeure en quelque sorte extérieur. À l’exception notable de Dragline (George Kennedy), qui était quelque chose comme le caïd du groupe avant l’arrivée de Luke et qui devient son acolyte et ami après que les deux hommes se sont fichés une bonne peignée où d’ailleurs, Luke s’est fait massacrer et après l’épisode du poker gagnant.

Et finalement, d’ailleurs, le groupe s’accommode assez bien de la vie mécanique du bagne, réglée comme du papier à musique, où s’épuisant dans les tâches répétitives de fauchage de mauvaises herbes et de curage de fossés, il ne pense, au soir venu qu’à s’écrouler de sommeil.

Avec de temps en temps, tellement rares qu’elles apparaissent comme des aubaines fabuleuses, des sortes de récréations inespérées. Il se peut que le réalisateur, Stuart Rosenberg ait un peu chargé la mule sur ce point, mais cela donne des séquences anthologiques : l’exhibition érotique devant les bagnards d’une opulente quoique gracieuse créature (Joy Harmon) prétendant laver sa voiture, en tenue courte, toutes cuisses et tous seins offerts à la concupiscence publique ; et aussi le pari fou – et tenu – de Luke d’ingurgiter 50 œufs durs devant la chiourme stupéfaite, espérante ou désolée selon qu’elle a joué le succès ou l’échec de cet exploit.

Mais il est de la nature de Luke de ne pas filer doux. Donc de s’évader. Donc de se faire reprendre et surveiller plus durement. Et de s’évader à nouveau. Et ainsi de suite. Jusqu’à la fin. Les poursuites sont filmées par Stuart Rosenberg avec un sens du rythme, de la tension, du halètement formidable. La musique intervient à point nommé. Le titre est intrigant à souhait. Qu’espérer de mieux ?

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