Massacre à la tronçonneuse

De rouille et d’os.

Voilà un film qui affiche tout de même 45 ans – ce qui, pour beaucoup, permet de le situer dans une sorte de préhistoire dépassée – mais qui comporte toujours la même force agressive, la même capacité à glacer les sangs et à perturber le système nerveux ! Sans doute est-ce dû à la limpidité de l’intrigue et peut-être encore davantage à la simplicité de la façon de filmer de Tobe Hooper qui a pris le parti de ne pas mégoter sur la crasse, le sordide et le dégoûtant. Accumulation de prises de vue sur un monceau de saletés, sur des dents éparses, des corps déchiquetés, des crânes défoncés, des tibias jetés ici et là ; sur une campagne souffreteuse, très plate, très laide, mordue par le soleil. Un soleil qui, d’ailleurs, est omniprésent, grosse boule de feu implacable, fatidique.

On l’a dit : aspect sale, image jaunie et granuleuse, mouvements de caméra brutaux, d’apparence presque improvisée : tout ce qui permet une sorte de participation au déroulement de l’histoire ; on n’écrira pas, pour autant, qu’on ressent de l’empathie pour ces cinq pauvres jeunes gens qui tombent tout à fait par hasard dans la marmite du Diable : ils sont trop superficiellement ébauchés, trop lisses (et sans doute aussi trop idiots) pour qu’on s’y attache vraiment. Mais c’est peut-être encore préférable : on se substitue à eux et on vit véritablement leurs mésaventures. On ressent par exemple particulièrement bien, en frémissant de toute sa moelle, la suspension de Pam (Teri McMinn) à un croc de boucher par Leatherface (Gunnar Hansen) comme si c’était la sienne propre…

Dans le cinéma de genre, ce qu’il y a de bien, c’est que les amateurs recherchent, apprécient différences, ressemblances, allusions, clins d’œil, hommages et tout le tremblement. En regardant hier une nouvelle fois Massacre à la tronçonneuse, je me surprenais à faire des rapprochements, à recevoir des flashes sur des tas de films de la même orientation (ou dont certaines orientations se rapprochent de l’épure de Tobe Hooper, sans même m’interroger sur qui avait influencé qui… Momies desséchées de Psychose, bien sûr, mais aussi, lorsque le groupe arrive devant la vieille maison abandonnée des grands-parents de Sally (Marilyn Burns) et de Franklin, le paralytique (Paul A. Partain), une sorte de caméra subjective, comme quelque chose qui guette dans les herbes hautes, ainsi que dans Evil dead. Il y a, bien entendu, dans les solitudes désertiques, un paquet invraisemblable de dégénérés, par exemple dans La colline a des yeux ou dans l’admirable Délivrance

D’évidence, Le silence des agneaux exploite l’usage des objets et vêtements en peau humaine. Et le cannibalisme, naturellement. La complicité morbide familiale, c’est dans The Devil rejects. Et, de façon plus surprenante, puisque ça se passe dans nos contrées civilisées, la famille tout entière cannibale, on la retrouve dans Ma loute de Bruno Dumont !

Point positif du film : Tobe Hooper ne mégote pas dans le sordide et annonce clairement la couleur : dès le générique, présentées de façon presque subliminale, des dents, des os, des membres découpés, des fragments de chair ; puis un passage bref – mais suffisant – sur la profanation d’un cimetière texan, des corps torturés, désarticulés, qui se décomposent. Et tout de suite après, une scène incongrue mais volontairement gênante : Franklin le paralysé qu’on a descendu du van pour qu’il puisse satisfaire un besoin naturel dans une boîte de conserve et qui dégringole une pente vive… On est dans l’ambiance, malsaine et glaireuse.

Dieu merci – si j’ose dire – le réalisateur ne fait pas trop longtemps attendre et il a le bon goût d’accélérer de plus en plus au fur et à mesure que le film avance pour se terminer en véritable hystérie. Il cède bien un peu à la facilité consistant à faire se séparer les protagonistes de façon qu’ils soient plus facilement éliminés par les méchants, mais il n’abuse pas de ce travers quasiment obligé. Et il conserve le meilleur pour la fin, la jeune Sally, dont le sang frais va ranimer un tout petit peu le patriarche momifié (John Dugan), pas tout à fait assez néanmoins pour qu’il puisse retrouver le coup de main légendaire qui faisait de lui le meilleur tueur de bestiaux d’Abilene à Waco…

Dans le supplément du DVD, Hooper explique comment lui est venue l’idée du film ; il songeait déjà à réaliser un conte d’horreur mais un jour, dans un centre commercial archi bondé dont il essayait de sortir, son regard est par hasard tombé sur le rayon des tronçonneuses ; et il s’est dit que, muni de cet engin, il se fraierait sûrement avec aisance un chemin. Il est en tout cas bien certain que le titre du film, le vrombissement terrifiant de l’ustensile et la façon dont Leatherface le manipule ne sont pas pour rien dans le mythe…

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