Messieurs les ronds-de-cuir

L’aiguille creuse.

Du merveilleux roman de Georges Courteline, paru en 1893, voici la troisième version, simplement télévisée et réalisée (?) par l’habituellement excellent Daniel Ceccaldi. La plupart des critiques s’accordent à dire que la première adaptation, tournée par Yves Mirande en 1936, avec Lucien BarouxPierre LarqueyJean TissierSaturnin FabreArletty est largement supérieure à la seconde qui date de 1959 ; elle est due à Henri Diamant-Berger et réunit notamment Noël-NoëlPierre BrasseurMichel SerraultJean PoiretPhilippe ClayJean ParédesJane Sourza. Et voilà qu’en 1978, Ceccaldi fait tourner Raymond PellegrinClaude DauphinBernard Le CoqMichel PeyrelonMichel RobinEvelyne Buyle et bien d’autres.

Si le film d’Yves Mirande (mais que je n’ai jamais vu) est donc de loin le plus convenable, si celui de Diamant-Berger est seulement acceptable, que dire alors du téléfilm de Daniel Ceccaldi, qu’on aurait aimé voir cantonné à l’interprétation – où il peut être absolument merveilleux – et qui a livré là un très pénible pensum, fondé pourtant sur un des riches terreaux de la littérature narquoise qui se puisse ?

Autant le dire d’emblée : Messieurs les ronds de cuir est une véritable catastrophe, alors que les figures pittoresques ciselées par Courteline, le milieu crasseux, feignant, prétentieux dépeint par lui, la qualité intrinsèque des interprètes pouvaient porter le réalisateur sans grandes difficultés vers un opus satisfaisant. Et pourtant tout est d’une incroyable pesanteur, d’une fatigante vacuité, d’une invraisemblable paresse.

Ce genre de films doit être mené à toute vitesse, avec, à la fois, légèreté et rythme, être conduit comme sur une scène de théâtre, ou mieux sur une scène d’opérette ; il faut de la gaieté, de l’enjouement, un peu d’outrance, beaucoup de sarcasme, une façon de cavalcader à grandes guides, d’emporter le spectateur dans un tourbillon. Eh bien on dirait que toute la troupe recrutée par Daniel Ceccaldi s’est abrutie de somnifères puissants et a décidé d’en faire le minimum côtés vivacité et talents. Ce qu’on pourrait appeler le minimum syndical.

Toutes les vacheries puissamment distillées par Georges Courteline sur la routine des bureaux, sur la façon dont ils entretiennent leur perpétuation en se suscitant des tâches d’une absolue inutilité mais qui deviennent, par la force des choses, des sortes de marmoréennes Tables de la Loi (administrative), sur la comédie que jouent, du haut en bas de l’échelle, des gens qui, comme les augures de l’ancienne Rome, ne se peuvent regarder sans rire (du moins in petto) sont gommées, affadies, souvent même annihilées par une réalisation d’une insigne médiocrité où de grands acteurs sont donc absolument livrés à eux-mêmes.

Il faut donc jeter un voile pudique sur cet enterrement. Il y a en effet lieu de penser que le 21ème siècle ne jettera pas le moindre regard sur la vie de ces bureaux, moqués déjà par Balzac (dans Les employés) et caricaturés ensuite, pendant un siècle et demi avec plus ou moins de succès. Cette administration là ne se survit guère et c’est fort bien ainsi. Mais on ne pourra pas plus se moquer d’elle qu’on ne peut évoquer le waquer de Pierre Palmade (dans le sketch Le scrabble) : ça désigne un objet, qui n’existe plus d’ailleurs, mais le mot existe toujours. Ben c’est pareil…

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