Minuit dans le jardin du Bien et du Mal

Dans la chaleur de la nuit.

Le cadre magnifique de Savannah, une des villes de Géorgie qui laisse penser que les États-Unis auraient pu être une nation civilisée si le Sud n’avait pas perdu la Guerre de Sécession. Des architectures magnifiques, la douceur des pelouses et des ombrages de sassafras voilés de mousse espagnole. Un peu de civilisation patricienne et un Yankee journaliste, John Kelso (John Cusack), qui débarque là, un peu faraud mais intelligent, pour couvrir, dans une édition étasunienne de Gala ou de Voici la fête, en principe somptueuse, que donne le richissime collectionneur Jim Williams (Kevin Spacey) à la bonne société de la ville.

On est d’emblée dans une curieuse atmosphère, tropicale, trouble et même un peu poisseuse, pleine de folies et de singularités à l’image de ce chien mort dont un homme promène chaque jour le souvenir et la laisse au long des belles pelouses, à l’image de cette société où chacun se connaît, se suspecte et se dissimule, mais où tous connaissent les vices et les singularités de chacun ; voilà précisément l’image d’une civilisation à son point de maturité un peu dépassé, jusqu’à devenir, comme un fruit trop mûr, un peu pourrissante.

Toute la première partie de Minuit dans le jardin du Bien et du Mal est absolument réussie (comme beaucoup des histoires, au demeurant, qui mettent en scène le Vieux Sud vaincu et amer, par exemple Chut, chut, chère Charlotte de Robert Aldrich). Beaucoup de scènes nocturnes, dans ce qu’on sent être la touffeur des presque tropiques, de vastes demeures admirablement agencées, de sombres cimetières où le culte vaudou rayonne.

Le film part un peu dans tous les sens ; le Yankee Kelso découvre, sans en être vraiment surpris, qu’il y a des tas de choses qui gisent en dessous des choses ; il rencontre des gens tout à fait étonnants, le couple amical de musiciens bien singulier, Joe Odom (Paul Hipp) et de Mandy Nicchols (Alison Eastwood) – dont il deviendra l’amant – et surtout l’ondoyant et tonitruant travesti Lady Chablis (flamboyant personnage réel qui interprète là son propre rôle, avec beaucoup de talent).

On se demande bien où Clint Eastwood veut mener le spectateur, lorsqu’on ignore que le film est adapté d’une sorte de docudrame, un récit tiré d’une histoire réelle, qui s’est effectivement passée à Savannah : Jim Williams/Spacey a tué une sorte de petite frappe, Bill Hanson (Jude Law) dont il était, avec beaucoup d’autres, mais sans doute au premier rang, l’un des amants.

Dès lors le film, sans changer toutefois d’ambiance et de nature, se dirige vers le cadre plus classique des histoires de procès : complications et subtilités des procédures pénales étasuniennes, attaques et contre-attaques de l’Accusation et de la Défense, coups-fourrés des avocats, recherche de preuves et d’arguments. Voilà qui est un peu faible, tant on a l’impression, sûrement justifiée, d’avoir vu cent fois ces procès, ces stratégies, ces coups tordus, ces triomphes éphémères, ces coups de théâtre confondants.

Toutefois, le réalisateur parvient à ne pas demeurer dans le trop rigide cadre du prétoire ; il y a même, grâce à l’extraordinaire présence du travesti Lady Chablis une des séquences les plus confondantes qui se puissent : le bal des Alpha, Phi, Bêta des jeunes bons sujets de l’élite noire, soucieuse avant tout de respectabilité bourgeoise, perturbé par cette silhouette ambiguë, moulée dans un fourreau bleu scintillant ; qui fascine par son ambiguïté même toute une assemblée…

Ambiguïté encore lors des dernières scènes et de la résolution (ou de la non-résolution ?) de l’énigme. On a depuis un petit moment décroché ; parce que le film est tout de même un peu trop long (près de 2 heures et demi) et trop hétéroclite, trop disparate. Nostalgie du Vieux Sud, affaire criminelle, méditation à l’aide des balivernes vaudou sur la mort, le Bien et le Mal ? À ne pas assez choisir, l’auteur s’égare un peu.

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