Mission

Carrefour des enfants perdus.

En découvrant Mission cette après-midi et en admirant la belle réalisation de Roland Joffé, emplie d’images somptueuses, accompagnée de la forte musique d’Ennio Morricone, interprétée par de puissants acteurs et évoquant des questions de haut niveau, je m’interrogeais toutefois. Ce n’est pas pour gonfler excessivement mon jabot (qui n’en n’a pas vraiment besoin), mais enfin je me demandais comment le spectateur lambda a reçu le film. Parce que si Mission n’est regardé que comme une suite d’illustrations exotiques à son début, puis, à sa fin, comme un massacre pathétique et scandaleux, on perd tout de même beaucoup de substance. En forçant le trait on pourrait presque dire qu’il s’agit de Tintin chez les Picaros en version cruelle et adulte.

Toute modestie bue (jusqu’à la lie), je suis bien conduit à écrire que je suis un peu frotté d’Histoire et très féru de questions religieuses. J’ai donc regardé le film en ayant une connaissance minimale de ce qu’on appelle les réductions en Amérique latine ; c’est-à-dire de ces sortes de concessions dotées de ce qu’on appellerait aujourd’hui autonomies que les autorités coloniales d’Espagne et du Portugal avaient abandonnées aux ordres religieux (essentiellement les Jésuites) chargés d’évangéliser et de protéger les indigènes. Je savais aussi la lutte acharnée que se livraient Espagne et Portugal pour le partage des terres du Nouveau Monde. Et enfin la haine qui animait la plupart des États européens contre la Compagnie de Jésus ; ses membres furent expulsés du Portugal en 1759, de France en 1763, d’Espagne et d’une partie de l’Italie en 1767. Et même le Pape Clément XIV supprima l’Ordre en 1773. Au Portugal, notamment, le marquis de Pombal, franc-maçon notoire et Premier ministre, dont il est question dans le film, leur vouait une véritable aversion.

C’est que les Jésuites, soldats inconditionnels de la Papauté dérangeaient beaucoup la souveraineté des États par leur ultramontanisme ; mais aussi ils avaient développé une théologie missionnaire originale qui leur avait permis de prendre pied avec beaucoup de réussite aux quatre coins du monde dès la fin du 16ème siècle. C’est le concept d‘inculturation baptisé ainsi en 1953 mais mis en œuvre dès le début de l’envol prosélyte : la capacité à s’adapter aux et à s’enrichir des cultures et traditions locales.

Ayant fait étalage de toute (une très petite partie de) ma science, je reviens au film qui s’engage dans les sublimes cataractes d’Iguazù et qui chatoie pendant deux heures entre cités coloniales baroques et profondeurs de la forêt amazonienne. Comme on l’a remarqué, le rôle de la musique est déterminant grâce à sa capacité à la fois universelle et civilisatrice de réunir Ancien et Nouveau Monde et de faire participer tous à la même Humanité (ce qui est un concept profondément chrétien, au demeurant). C’est sûrement cette ligne qui est la partie la plus réussie de Mission.

Je suis moins admiratif à la fois de la structuration des personnages (si bien interprétés qu’ils sont, essentiellement Robert De Niro et Jeremy Irons) dont les interactions me semblent un peu mécaniques et surtout du rythme interne du récit, qui prend son temps dans la première heure et accélère trop brutalement ensuite jusqu’à se terminer de façon sauvage par le massacre des Indiens guaranis et des deux Jésuites qui les ont incités à se révolter. Et ceci alors même que le Supérieur de la Communauté choisit le sacrifice et le martyre portant l’ostensoir devant la foule des fidèles dans une image d’une grande beauté.

Mission laisse une impression pénible. Avec l’amertume du Légat du Pape qui conclut sa lettre par un terrible constat : Et donc, Votre sainteté… vos prêtres sont morts… et moi… vivant. Mais à la vérité, c’est moi qui suis mort… tandis qu’ils sont vivants. Et avec la barque chargée d’adolescents guaranis survivants qui s’enfonce dans la touffeur de la forêt. Il est vrai qu’une très jeune fille a récupéré dans la rivière un violon démantibulé ; est-ce suffisant ?

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