Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ?

Pesante Vertu.

Ce qui est très bien avec le cinéma italien de l’époque, c’est qu’il pratique avec une délectation joyeuse ce qu’on pourrait appeler la transgression. S’appuyant sur une réalité sociétale extrêmement figée, sur le poids des traditions, l’importance de la virginité des jeunes épousées, la crainte des hommes de perdre la face, la parallèle obsession de la virilité triomphante et de la pudeur exigée, il n’est que plus à l’aise pour en montrer les craquements. Qu’on veuille bien ne pas me rappeler que l’action de Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ? se situe entre 1908 et 1920 et que Luigi Comencini l’a tourné en 1974 : je le sais bien, mais je doute que, surtout dans le Sud italien, en Sicile où l’histoire se déroule, les choses avaient alors tellement changé. C’est sûrement différent aujourd’hui. Quoique…

Le film trouve sa base dans une certaine salacité, celle des récits paillards et souvent débridés du Décaméron de Boccace dont Pasolini mettra en scène quelques uns ; il est d’ailleurs fait explicitement mention du conteur de la Renaissance à un moment donné, celui où Ruggero (Ugo Pagliai), le père putatif de la belle Eugenia de Maqueda (Laura Antonelli), émasculé lors de la ridicule guerre d’Abyssinie en 1886, lorsque l’Italie tentait de se tailler un bout d’empire colonial, se fait substituer par son serviteur Corrao dans le lit conjugal. Et ceci afin, à toute force, d’avoir une descendance et d’hériter de la grande fortune familiale.

De façon aussi habile que graveleuse, le scénario se développe autour d’une de ces situations improbables qui font tout le charme du genre : la belle aristocrate Eugenia épouse le beau et riche et aimé par elle – mais plébéien – Raimondo Corrao (Alberto Lionello), fils de son géniteur, qui est lui-même fils adultérin non pas de Corrao, mais du marquis Ruggero de Maqueda, qui était allé buissonner et trousser la servante avant d’être privé de sa virilité.

Je ne sais pas si on m’a suivi jusqu’ici, mais ça signifie tout simplement que les deux jeunes époux sont frère et sœur (demi-frère et demi-sœur exactement). Prévenus à la dernière seconde par un scrupule tardif de l’eunuque Ruggero, ils ne peuvent donc consommer leur union, alors même que les premiers échauffements nuptiaux avaient soulevé chez l’innocente Eugenia des bouffées heureuses et allumé chez elle un torrent sensuel insoupçonné.

Et naturellement inextinguible, puisqu’il n’est pas question de le satisfaire. Car si l’anecdote est joyeusement funambulesque, acrobatique, et même artificielle, le regard narquois posé par Comencini sur une société totalement engoncée est admirable de vivacité. La totale ignorance des choses de la chair, la naïveté d’Eugenia vont de pair, évidemment, avec l’hypocrisie prude de tous. L’intrigue prend naturellement le tour de la comédie, elle virevolte et s’amuse, mais elle ne peut pas dissimuler ce qu’ont pu être, pour des générations entières, la découverte au pied du lit d’une réalité souvent bestiale et toujours… confondante.

Seulement, comme l’a écrit un homme d’esprit, Quand la Vertu triomphe du péché, c’est que le péché était de mauvaise qualité. Et les tentations vont petit à petit envahir l’espace d’Eugenia, d’abord sous la forme élégante du baron Henri de Sarcey (Jean Rochefort), homme à femmes et séducteur invétéré qui, touchant au but abandonnera la Belle en apprenant qu’elle est encore vierge, parce que, selon lui, ce serait trop compliqué et trop fatigant. Puis, après de nouvelles années de chasteté, avec le mécanicien-chauffeur de la voiture qui permet à Eugenia de faire la charité aux misérables. Le chauffeur, Silvano Penacchini (Michele Placido) n’est pas sicilien mais toscan. Il comprendra vite que l’apparence vertueuse de sa maîtresse dissimule un tempérament qui ne demande qu’à bouillir. Et arrive enfin ce qui doit arriver. Il y a une scène hilarante lorsque, sur la litière d’un cabanon où la Marquise fait mine de se refuser tout en espérant le contraire, Silvano est à deux doigts de renoncer, exaspéré par l’invraisemblable quantité de voilages, jupes, jupons, corsets, brassières, pantalons qui recouvrent comme une cuirasse un corps qu’il finira par dépouiller en tranchant toutes les attaches avec son couteau.

La farce, qui s’est là un peu appuyée sur le vieux fantasme de L’amant de Lady Chatterley, se poursuit – tirant un peu trop à la ligne quelquefois – ; une certaine connaissance des élucubrations décadentes de Gabriele d’Annunzio, partisan de la profanation et de la transgression sans limites n’est pas superflue pour bien apprécier certaines séquences ; la fin, en revanche, est oiseuse.

 

 

 

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