Niagara

 Méfiez-vous des chutes !

Franchement, est-ce que quelqu’un se souviendrait de ce film, au scénario rebattu, tourné par un artisan sans génie du cinéma étasunien, s’il n’était illuminé par la séduction vénéneuse de Marilyn Monroe (qui disparaît malheureusement vingt minutes avant la fin et dès lors c’est un peu ennuyeux) ? Et aussi, sûrement peut-être davantage par le cadre qui donne son nom au film, les chutes du Niagara, qui ne sont ni les plus hautes, ni les plus spectaculaires du monde, celles du Zambèze, entre la Zambie et la Rhodésie (Victoria falls) et celles d’Iguazu, au Brésil étant, paraît-il, plus grandioses. Mais les chutes du Niagara ont l’avantage d’être admirablement situées, à la frontière du Canada et des États-Unis et d’avoir de longue date été aménagées pour la séduction des touristes et la prospérité du commerce local.

Le film d’Henry Hathaway est d’ailleurs, dans une certaine mesure, un prospectus documentaire, tel qu’on pouvait en éditer en 1953 pour attirer le chaland : balade en canot automobile, transit jusqu’à proximité des cataractes – tout cela avec des cirés et des bottes congrûment revêtus – et même, au soir venu, illumination polychrome des chutes, à peu près aussi laide que lorsque Mme Hidalgo décide de sacrifier la Tour Eiffel à une des vertueuses causes qu’elle affectionne au plus haut point.

Pousserai-je la goujaterie jusqu’à écrire qu’une autre chute peut largement autant fasciner le spectateur, celle des reins de Mlle Monroe, qui est mise en valeur avec une complaisance et une roublardise certaines par Henry Hathaway ? Pourquoi pas, même si Jean Peters, à la brève carrière cinématographique, qui lui donne la réplique en épouse sage et résignée à l’extrême médiocrité de son niais mari (Casey Adams) ne manque ni de charme, ni de piquant. Mais enfin, c’est tout de même l’extraordinaire sensualité de Marilyn qui frappe d’emblée et qui entraîne tout le film. Un abord absolument significatif, au demeurant. Le mari de Marilyn, George Loomis (Joseph Cotten) est allé, dès 5 heures du matin, attiser son aigreur, ses regrets, son masochisme, dans le brouillard d’eau des chutes. Il revient au motel où il réside. Dans un des lits jumeaux de son bungalow (des lits jumeaux ! admirable, détestable Code Hayes !) il y a sa femme, Rose, nue, belle, fardée, qui fait mine de dormir, puis ne joue plus la comédie de son ennui.

À peu près en même temps arrive donc, en voyage de noces tardif, un jeune couple dont le mari, Ray Cutler (Casey Adams, donc) a gagné une sorte de concours de meilleur vendeur de flocons d’avoine. Ce n’est pas mal du tout, d’ailleurs, ce contraste entre le couple Cotten/Monroe, qu’on sent déchiré, fatigué, hérissé, haineux et le couple Adams/Peters, parfaite illustration de l’optimisme niais de l’époque, mais où on voit assez vite que la femme vaut mieux que le mari.

Rencontre. Un peu de sympathie, mais qui ne va pas loin ; des échanges comme on en peut avoir dans un hôtel ou un club de vacances. D’autant que les orages sont fréquents et vifs entre les époux Loomis et que Rose ne peut pas dissimuler qu’elle est davantage faite pour séduire les mecs qui la regardent onduler dans ses robes glamour que pour être une ménagère modèle.

J’aurais aimé qu’on restât sur la confrontation de ces deux aspects si antagoniques, mais le film tourne vite dans une dimension criminelle assez banale, vingt fois vue à l’écran. Un amant, Ted Patrick (Richard Allan) est chargé de zigouiller le mari gênant ; il rate son coup et c’est lui qui trépasse. Qu’est devenu le mari ? Que va-t-il faire ? Comment le malheureux sympathique couple Cuttler se sortira-t-il de cette mouise ? Tout cela a été vu vingt fois. Cela étant donnons acte et crédit à Hathaway d’avoir introduit un agréable élément de suspense en lançant sur la rivière Niagara un esquif vite en panne de carburant et promis à une belle catastrophe…

On peut aussi créditer le réalisateur de plusieurs très beaux plans, moins sur les chutes que sur l’assassinat de la malheureuse méchante Rose dont le cadavre sanglant est filmé en plongée au travers du carillon du beffroi où elle s’est réfugiée ; dans un film qui serait aujourd’hui une simple histoire télévisée, cette recherche esthétique est très bienvenue, même si elle ne suffit pas à hausser Niagara au rang de chef-d’œuvre, ni même d’excellent film..

Leave a Reply