Normandie nue

Ce soir les jupons volent !

Dans le paysage très convenu du cinéma français contemporain, Philippe Le Guay donne un peu de fraîcheur et d’originalité. Je n’avais pas beaucoup apprécié, il y a dix ans et plus, Les femmes du 6ème étage, mais bien davantage Alceste à bicyclette, avec Fabrice Luchini et Lambert Wilson, mais aussi Floride avec Jean Rochefort et Sandrine Kiberlain. La distribution de Normandie nue est moins prestigieuse, essentiellement François Cluzet et François-Xavier Demaison, mais l’ensemble des nombreux acteurs est vraiment très satisfaisant et personne ne détonne.

L’histoire est originale et amusante et, pour une fois, ne se contente pas d’une idée initiale si démesurément étirée qu’elle devient filandreuse. Cette idée initiale, comme le titre du film met sur la voie, est le projet de faire poser nus la totalité des habitants d’un village du Perche, Mêle sur Sarthe, afin d’attirer l’attention sur la crise qui le frappe. Au fait, c’est un photographe des Etats-Unis, Spencer Tunick qui a commencé, en 1992, de réunir des centaines, puis des milliers de gens, hommes et femmes, jeunes et vieux de poser dans des installations de plus en plus fréquentées jusqu’à rassembler 18000 participants en mai 2007 à Mexico, m’apprend Wikipédia.

Il est vraisemblable que cette pratique a eu de l’influence un peu partout ; dans les villages de la France profonde, il y a une quantité de clubs sportifs ou d’associations de commerçants qui réalisent au bénéfice de leur comité des fêtes des calendriers où le gardien de but ou la boulangère (et les autres, bien sûr !) posent plus ou moins déshabillés (plutôt moins que plus, d’ailleurs). Comme toutes les histoires de ‘’boy next door’’, cela alimente une curiosité à la fois gênante et troublante. Dans le film, trois dames de la bonne cinquantaine s’interrogent sur leur participation ; et l’une d’elles, approuvée par les autres, dit qu’elle ne serait pas gênée si la photo nue se faisait au milieu de gens qu’elle ne connaîtrait pas, mais que là elle hésite parce qu’elle connaît tout le monde.

Au fait, pourquoi cette photo et ce projet ? C’est là que Philippe Le Guay, auteur du scénario, devient intéressant. Le film brasse et mêle des sujets qui sont, sinon au cœur de l’actualité, du moins qui en forment une des trames profondes, en parcourent les sillons : la désespérance des agriculteurs, la désertification des campagnes (ce n’est pas tout à fait la même chose) ; et parallèlement les lubies (les envies, si l’on veut) de citadins fatigués du stress des métropoles qui pensent trouver la santé et la joie de vivre dans la verdure et tentent de s’acclimater à la ruralité.

Normandie nue est intelligent et intéressant sur ces points. D’autant qu’il n’hésite pas à prendre assez fermement le contrepied de la doxa écolo-progressiste, par exemple des discours agressifs contre la consommation de viande rouge prétendument cancérigène et néfaste à l’environnement. Les éleveurs et les bouchers doivent pourtant vivre et prospérer et les amateurs de côtes de bœuf et de steaks tartare continuer à se régaler.

Toujours est-il que les agriculteurs du coin, qu’ils produisent du lait ou de la viande sont acculés à la ruine par les folles importations du commerce international, la pression des multinationales, les exigences phytosanitaires démesurées et la pression à la baisse des centrales d’achat des supermarchés. Conduits par Georges Balbuzard (François Cluzet), maire actif et dévoué (à un point tel que sa femme Betty l’a quitté quelques années auparavant tant il était accaparé par ses fonctions), les villageois tentent d’éveiller l’opinion. Mais le barrage routier qu’ils organisent n’a l’honneur que de dix secondes aux actualités régionales. Il faut faire plus et mieux !

Mais quoi ? C’est là que, de façon tout à fait fortuite le génial et célèbre Newman (Toby Jones) découvre en passant qu’un pré, éclairé d’une certaine lumière, convient à merveille au projet de réaliser une photo nue en pleine campagne. Le maire, tout d’abord interloqué par la proposition qui lui est faite par Newman et son secrétaire Bradley (Vincent Regan), se rend compte assez vite que c’est là l’occasion d’attirer les projecteurs sur le patelin.Reste à convaincre les villageois : il en faut 200 et ce ne sera pas une mince affaire ; mais on comprend que, malgré des vicissitudes nombreuses, Balbuzard/Cluzet y parviendra.

Ce qui est habile, c’est qu’au delà de ce fil directeur, qui pourrait paraître trop évident et limité, les intrigues adventices sont sympathiques et bien menées comme l’histoire amoureuse entre Vincent Jousselin (Arthur Dupont) et Charlotte (Daphné Dumons) et la réconciliation d’Eugène (Philippe Rebbot) et de Maurice (Patrick d’Assumçao), ennemis farouches (pour une histoire de champ dont chacun croit détenir la propriété).

Je suis un peu moins convaincu par tout ce qui tourne autour de Thierry Levasseur (François-Xavier Demaison), cadre parisien venu s’installer avec femme (Julie-Anne Roth) et fille (Pili Groyne). La fille s’enquiquine, le père prétend être heureux mais somatise un maximum ; la femme en revanche s’est bien acclimatée. Finalement père et fille partiront retrouver avec délices les embarras de Paris. Quelques scènes intéressantes mais le sujet en tant que tel aurait pu, ou pourrait donner, la matière d’un autre film.

Je ne crois pas que Normandie nue ait connu un grand succès public ; c’est bien dommage parce que c’est sympathique et ça raisonne bien.

Leave a Reply