Nuits blanches

Quand l’alouette s’envole.

Sans doute un jour ou l’autre, les circonstances aidant – ou imposant – je regarderai, ou reverrai des films de Luchino Visconti. Ceux que j’ai vus jadis et qui ne m’ont pas emballé (SensoRocco et ses frèresLes damnés) et ceux que je ne connais pas (Ludwig ou le Crépuscule des dieuxViolence et passionL’innocent). Mais je serais bien étonné que tout ça m’emballe : c’est comme avec un vin, une femme ou un poème : quand on n’y est pas sensible, il n’y a pas grand chose à faire. Et cela même si l’on se dit qu’on a sûrement tort et qu’on devait, comme la masse, comme la foule, approuver et applaudir des deux mains.

Il serait idiot et puéril de tenir Nuits blanches pour un film insignifiant, même si on ne s’y emballe pas. Une photographie admirable, une grande élégance des mouvements de caméra, une musique (Nino Rota) de qualité et une atmosphère très particulière qui peut tout à fait attacher. Mais on est en plein d’un genre bizarre, singulier, qu’on pourrait appeler le mélodrame onirique, qui ne manque pas tout à fait de rapport avec le réalisme poétique français : en voyant Nuits blanches, j’ai de temps en temps songé à des séquences des Portes de la nuit, le grand merveilleux film raté de Marcel Carné. Des errances sans raison dans une ville balafrée par la Guerre.

Le genre n’est pas sans mérite ni sans qualités mais son usage est extrêmement difficile à mettre en œuvre ; il y a quelques catastrophes retentissantes, comme celle de Juliette ou la clé des songes de Marcel Carné et bien peu de réussites éclatantes. À dire vrai je me demande lesquelles, sauf à revenir toujours aux miracles de la collaboration Carné/Prévert, à Quai des brumes et au Jour se lève (le premier bien plus que le second, au demeurant, en l’espèce).

Donc se rencontrent, dans une histoire inspirée de Dostoievski (histoire qui a paraît-il aussi inspiré Robert Bresson dans Quatre nuits d’un rêveur), au début d’une nuit, vers onze heures, dans le quartier de Livourne qui s’appelle précisément  »Venise », du fait de son entrelacs de canaux et de ponts, se rencontrent deux être lunaires. Mario (Marcello Mastroianni) et Natalia (Maria Schell). Lui vient à peine d’arriver dans la ville ; elle vient chaque soir guetter le retour de l’homme (Jean Marais) qu’une année auparavant elle a admiré et aimé, qui a dû partir mais qui lui a fait promettre qu’au bout de l’an ils se retrouveraient.

C’est à peu près tout. Au milieu des venelles et des canaux crasseux d’une ville d’Italie qui n’a pas encore connu la prospérité qui adviendra quelques années plus tard, où errent encore les chiens faméliques, les clochards hallucinés et les prostituées aux grands yeux tristes, il y a une sorte d’histoire étrange, miraculeuse qui réunit deux êtres singuliers. Et qui ne se terminera pas très bien, sous l’averse de neige qui emplit les rues toscanes.

Admirable photographie, on l’a dit et quelquefois scènes surprenantes, comme celle qui se passe dans un dancing où les deux protagonistes s’abandonnent pour la seule fois de leur triste histoire. Pour un bien petit moment. Je ne trouve pas que le superbe Mastroianni soit l’interprète idéal d’un garçon timide, trop vite enamouré d’une jeune femme fugace, singulière, farouche, mystérieuse, insondable. Mais Maria Schell, qui a de la folie dans les yeux et qui possède un des sourires les plus craquants que le cinéma ait jamais connus est, elle, absolument idéale dans ce rôle de demi-folle, emplie d’un de ces amours de tête qui ont fait tant et tant de mal. Jean Marais, pour sa part, est aussi marmoréen et insignifiant que de coutume.

Il paraît que Visconti voulait montrer aux producteurs et au public qu’il était capable de réaliser un film à petit budget, de structure presque théâtrale. Personne ne peut contester qu’il y soit parvenu. Mais au delà de l’exercice de style, qu’est-ce qui reste?

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