One+one

L’invention d’un Zéro absolu plus qu’absolu.

D’humeur maussade cette après-midi, agacé par cet automne mouillé et plus encore par la vision du monde qui nous arrive sur les bras, tétanisé à la fois par la crainte du coronavirus et les précautions prises pour s’en protéger, j’ai mis vraiment toutes les chances de mon côté : je me suis regardé un film de 1968, réalisé par Jean-Luc Godard et en grande partie consacré à la création par les Rolling stones d’une chanson qui leur fut, paraît-il emblématique et qui s’appelle Sympathie for the Devil, film autrement nommé One + One.

C’est bien dire que j’avais mis tous les atouts dans mon jeu : je tiens les billevesées décadentes de Mai 68 pour une des causes principales des maux qui submergent notre occident d’aujourd’hui, je n’ai jamais apprécié un seul titre, ni même une seule note de la musique des Rolling stones (car, comme c’était mon cas, on appréciait les Beatles, on ne pouvait avoir qu’aversion pour leurs concurrents aux dégaines de voyous), et je n’ai naturellement aucune sympathie pour le Diable, trouvant déjà bien exaspérant de devoir me battre contre lui chaque jour que Dieu fait.

Reste Jean-Luc Godard. Quand j’étais jeune, c’est-à-dire avant Mai 68, ce calviniste fou furieux désarticulé m’avait déjà fait rompre des lances avec certains qui trouvaient en Pierrot le fou l’Alpha et l’Oméga de la cinématographie intelligente ; un peu plus tard, bon nombre de ceux qui avaient compris que le type était une ganache pontifiante, demeurant sans doute un peu consensuels et n’osant pas dire leurs vrais sentiments, convenaient avec moi de la nullité du bonhomme mais tentaient d’en sauver Le mépris. Taratata ! Le mépris ne vaut que pour le filmage agréable des gracieuses fesses de Mlle Brigitte Bardot et du dialogue afférent à la situation, scène et dialogues qui, d’ailleurs, ont été exigés par les producteurs au grand dam de Godard de façon que l’honnête spectateur en ait pour son attente et pour les trois francs, six sous qu’il avait dépensé pour admirer le popotin de la dame. Il y a des jours, comme ça, où la morale triomphe.

Pensant devenir un des prêtres majeurs de la Révolution (sans savoir trop ce que c’est mais en frémissant à ce seul nom), Godard filmant Mick Jaegger et ses tristes copains dans la composition de leur rengaine, entend, paraît-il déconstruire le mythe du génie créateur. Il veut montrer que l’élaboration de ce qu’il estime être une œuvre d’art ne se conçoit pas sans réflexions, redites, disputes, recherches approfondies, suggestions bizarres et innovations surprenantes. Diantre ! La belle affaire ! Comme si on ne sait pas, du moins depuis Buffon, que le génie est une longue patience et que si doué qu’on peut être, il n’arrive rien de bien sans le travail ! Énoncer des perles, c’est bien une des caractéristiques de Godard ! et le même niquedouille, ayant définitivement quitté les rivages du cinéma conçu comme un Art, à la recherche du Beau, du Bien, du Vrai, comme le définit Saint Thomas d’Aquin souhaite paraît-il, après One + One redevenir anonyme, après avoir brisé les cadres classiques. À ce sujet, il peut être rassuré : lorsqu’il aura passé l’arme à gauche, ce qui ne saurait tarder, puisque, né en 1920, il atteint le nonagénat, personne ne se souviendra de lui. Sauf la télé du Camp du Bien, évidemment. Il est même probable qu‘Arte proposera un de ses films, et si ça se trouve, en première partie de soirée ! Youpi.

Ah ! Un mot du film : c’est donc la captation de l’enregistrement de la chanson Sympathie for a Devil, ponctuée par des séquences d’une longueur épouvantable absolument sans queue ni tête. Je dois à la vérité de dire que tout cela est tourné en anglais, langue dont je ne pige rien ; mais je doute que des sous-titres m’auraient éclairé : jargon de Black panthers qui assassinent des jeunes filles blanches dans le cadre gracieux d’une décharge automobile, interview sylvestre d’une autre jeune femme, Anne Wiazemsky, puis passage chez un marchand de journaux qui lit des extraits de Mein Kampf. Toutes séquences d’une longueur extraordinaire et d’une nullité abyssale.

Et dès lors on s’interroge : un film, tout le monde le sait, ça coûte cher à tourner : location des caméras, des appareils de prise du son, indemnisation de l’équipe technique et ainsi de suite. Et Godard qui n’a pas d’audience parvient à trouver le fric ? Les banques suisses seraient-elles folles ?

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