Plus dure sera la chute

Juste un coup à prendre !

Dans le riche sous-genre des films qui mettent en scène la boxe professionnelle, sous-genre qui compte, d’ailleurs, quelques réussites artistiques incontestables (Gentleman JimNous avons gagné ce soirLe baiser du tueur, les premiers RockyRaging bull et même, d’une certaine façon Million dollar baby), voilà que Plus dure sera la chute survient comme la dénonciation la plus vive, la plus convaincante, la plus violente de cette activité barbare, dont les amateurs vous racontent qu’elle est l’escrime des poings mais qui est en réalité l’hypocrite descendance des pires combats de gladiateurs de l’Antiquité. Si la vision des boxeurs en action est toujours pathétique, celle des yeux exorbités et des cris orgasmiques des spectateurs est un des aperçus les plus glaçants qui se puissent sur la nature humaine.

D’autant, bien sûr que ce sport (!!) est autorisé, dans la plupart des pays du monde ; au moins les massacres représentés dans les films horrifiques du type Hostel sont-ils, en principe, clandestins et sévèrement interdits par la loi. La boxe, non et c’est ce qui la rend si inconvenante.

Ma bile exprimée, venons-en à l’excellent film de Mark Robson, qui fut donc le dernier rôle d’Humphrey Bogart, film qui démonte, au delà même de la sauvagerie du spectacle, l’invraisemblable monde de magouilles, de duperies, de tricheries dans quoi prospère cette activité rémunératrice (on sait que l’homme est toujours prêt à payer plus et davantage pour voir du sang ; j’ai d’ailleurs déjà cité ce texte de Giono extrait de Deux cavaliers de l’orage : Il faudrait avoir un homme qui saigne et le montrer dans les foires. Le sang est le plus beau théâtre (…). On voit des choses extraordinaires dans le sang. Tu n’as qu’à faire une source de sang, tu verras qu’ils viendront tous).

Plus dure sera la chute date de 1956, c’est-à-dire au moment du sommet de la gloire de Ray Sugar Robinson, quelques années après la retraite de  Joe Louis des sortes de légendes aux États-Unis et dans le monde ; mais l’anecdote qui sous-tend le film date de quelques années auparavant et se réfère à Primo Carnera, champion du monde des Poids lourds en 1933, sorte d’outre gonflée au physique impressionnant (1,97 m., 122 kg) dont les combats furent, pour la plupart, truqués ou arrangés pour le mener sans trop de risques au titre mondial. Titre qu’il perdra d’ailleurs moins d’un an après sa conquête, littéralement massacré (11 fois à terre) par Max Baer, pourtant bien plus léger et plus petit que lui.

C’est d’ailleurs Max Baer lui-même qui, dans le film de Robson interprète le rôle de Buddy Brannan, champion du monde en titre qui défend victorieusement son titre en massacrant le malheureux Toro Moreno (Mike Lane) ; et c’est là à peu près la seule différence du film avec la réalité où Carnera était le champion et Baer le challenger. Mais la présence de la maffia de la boxe autour de Carnera est absolument avérée ; simplement Robson lui a donné le visage de Nick Benko (Rod Steiger) et de sa bande, fort bien organisée (jusqu’au parfait comptable dont le talent consiste à gruger à peu près totalement le boxeur des gains énormes que la bande engrange). Et donc aussi l’idée excellente de placer, en lien entre la pauvre sotte victime et le régiment des requins Eddie Willis (Bogart), journaliste sportif talentueux mais qui tire le diable par la queue et accepte d’organiser autour de la grosse brute venue d’Argentine (comme Carnera venait d’Italie) tout un courant publicitaire, entre rumeur et marketing, l’une et l’autre d’une grande efficacité.

Willis/Bogart n’est évidemment pas dupe, il est plusieurs fois à deux doigts de regimber mais Benko/Steiger parvient longtemps à le compromettre, à le tenir jusqu’à ce qu’enfin il se révolte et décide d’écrire une sorte de pamphlet dénonçant les magouilles et duperies de la boxe professionnelle (on doit malheureusement rester sceptique sur l’efficacité dudit pamphlet). Mais le monde des coulisses, des exploiteurs de la crédulité des boxeurs sans talent (Toro Moreno est bâti comme un taureau, tendre comme une laitue) et de la sauvagerie sanguinaire du public est décrit avec un regard presque entomologique ainsi d’autant plus convaincant.

Acteurs excellents, Bogart portant en lui la honte et l’inquiétude jusqu’à sa rébellion, Steiger absolument répugnant et tout un grouillement de canailles autour…

Et ça n’empêche pas la terre de tourner et les vampires de s’engraisser…

 

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