Promenade avec l’amour et la mort

Ravages.

Le beau titre de ce film triste et sensible me fait irrésistiblement penser à la gravure d’Albert Dürer, Le chevalier, la mort et le diable, image forte de ces temps où l’Europe était plongée dans les guerres étrangères, les guerres civiles, les guerres religieuses, où l’anarchie et la violence des temps laissaient si peu d’espace aux histoires individuelles… On me dira qu’il n’y a pas grand exemple que, dès ses origines, l’Europe n’ait pas été ravagée par une curieuse et abominable propension de ses habitants à ne pas vivre sereinement ensemble et on n’aura pas tort…

Beau film grave, souvent en forme de parabole, d’illustration imagée de la difficulté d’aimer au milieu des incertitudes et des haines qui s’engage comme le récit picaresque, non dénué d’épisodes presque comiques, et en tout cas grinçants, sarcastiques (le vendeur de fausses reliques, la secte illuminée et doloriste), se poursuit par des séquences cruelles et désespérantes, pleines de mort et de fureur, et s’achève sur l’harmonie presque sereine des deux jeunes gens qui viennent de se donner le sacrement de mariage et, presque apaisés, entendent, après s’être aimés, arriver leurs assassins…

Ce qui m’a semblé être une certaine étroitesse du budget n’est en rien gênant : la qualité de la photographie, la capacité de John Huston à saisir ici et là, par l’originalité des plans ou l’équilibre des compositions, la représentation qu’il souhaite donner, sereine ou sauvage, suffisent à conférer à Promenade avec l’amour et la mort de la force tout autant que du charme.

Si la très jeune alors (16 ans) Anjelica Huston est aussi lisse et attachante que le veut le rôle, je suis plus réservé sur le jeu d’Assi Dayan (paraît-il fils de Moshé, héros israélien de la Guerre des Six Jours), trop beau mec, à l’allure ici trop assurée, là trop niaise. À noter une étonnante (mais très brève) composition de John Huston lui-même, dans le rôle d’un vieux seigneur sceptique, lucide, désabusé…

L’édition DVD (VOST uniquement) est de bonne qualité et bénéficie d’un commentaire de Michel Ciment qui couple Promenade avec l’amour et la mort et Gens de Dublin, dernier film de Huston ; commentaire qui souffre toutefois à mes yeux d’un trop vif engagement marxisant et tente d’enrégimenter le réalisateur sous la bannière de la lutte des classes ; il ne m’a pas paru que le film militait dans le sens des uns ou des autres qui ravagent le pays ; il y a moins, me semble-t-il, une prise de position que le regret du bouleversement d’un ordre du monde apaisé où les amoureux pourraient s’aimer…

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