Que la bête meure

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Le Mal absolu ?

J’avais en tête que, dans la carrière trop pleine de Claude Chabrol, prolifique et inégale, il y avait un bloc de trois films exceptionnels, réalisés en moins de trois ans, La femme infidèle, Que la bête meure et Le boucher, cela dans l’ordre de parution.

Si je conserve au premier et au troisième opus de cette remarquable série une entière admiration, je me sens obligé de mettre un léger bémol au second. Non que – bien loin de là – ce soit un film médiocre, dégradant, voire avilissant, comme il y en a eu chez Chabrol, hélas !, non qu’on s’y ennuie ou qu’on n’y accroche pas, mais parce qu’il me semble un peu trop démonstratif, presque idéologique.

Il y a plein de choses admirables, bien sûr. L’infinité de la douleur de Charles (Michel Duchaussoy) est très cruellement et finement rendue (le refus de parler de la mort à la vieille servante, la projection du film super-8 jadis tourné et ses images du bonheur d’avant), tout comme la montée de tension, sur le bateau de plaisance entre Charles et Paul (Jean Yanne), la subtile tentation de la provocation qui amène Paul à prendre la barre, sauf à entendre un Chiche ou un T’es pas cap ! qui le ravalerait à ce que Paul se refuse d’être…

Mais tout de même ! Outre l’invraisemblable hasard qui conduit Charles, de fil en aiguille, à croiser la route d’Hélène (Caroline Cellier), qui le mènera jusqu’au repaire de la Bête, précisément, il y a la malfaisance totale, absolue, définitive de Paul.

Je veux bien qu’il y ait là parabole, caricature (Charles écrit à un moment, dans le Journal de sa quête : C’est une caricature d’homme), mais tout de même : il n’y a rien, absolument rien d’humain, dans le personnage : de la plante des pieds à la pointe des cheveux, Paul est cruel, grossier, égoïste, vaniteux, lâche, mauvais jusqu’au tréfonds : il n’y a rien qui le rachète, pas même la plus petite douceur qu’il pourrait avoir pour… je ne sais quoi, moi : sa mère, un animal de compagnie, une maîtresse, sa maison, la Bretagne… Rongé à ce point-là, je ne suis pas sûr qu’il y ait tant d’horreur intime dans tout le panorama du cinéma.

Et cette caricature, à mon sens, affaiblit un peu le propos : Chabrol accumule les scènes qui nous conduisent à haïr Paul autant que le hait Charles, mais trop est trop : il me semble qu’après la scène célèbre du dîner, de l’humiliation publique et immonde de sa femme Jeanne (Anouk Ferjac) et de son fils Philippe (Marc Di Napoli), on aurait gagné à voir un Paul un peu sympathique, goguenard, mais attachant par un ou l’autre de ses côtés : rien : la Bête est vraiment ignoble…

Cela dit, le film est mené avec un rythme et un talent exceptionnels, et des acteurs qui ne le sont pas moins : tout autre que Jean Yanne aurait rendu non seulement invraisemblable, mais aussi ridicule son personnage, Michel Duchaussoy n’a pas réalisé la carrière intéressante qu’il aurait dû avoir, et qui avait si bien commencé avec l’étrange et intéressant Jeu de massacre d’Alain Jessua ; Caroline Cellier était déjà ravissante et Anouk Ferjac portait avec dignité toute la détresse voulue…

Mais qui trop embrasse mal étreint, peut-être. Représenter le Mal absolu est une sacrée gageure…

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