Ran

Stupeur et tremblements.

C’est sans doute le meilleur film japonais que j’ai vu. Il est vrai que je n’en ai peut-être regardé moins que dix de toute ma vie, rebuté par l’éloignement civilisationnel, mais aussi par les éructations d’une des plus laides et les moins euphoniques langues du monde (à égalité avec le néerlandais). Quelle différence avec les belles mélodies françaises, italiennes ou russes ! On a l’impression que tous les personnages du film ne cessent de s’invectiver. Et dans ce monde-là, il semble qu’il n’y ait pas de place pour la douceur ou pour l’humour ou pour le sourire…

Je sais bien que le récit mis en scène par Akira Kurosawa ne laisse pas beaucoup de place à la tendresse, puisqu’il s’agit rien moins que d’une histoire inspirée par notre vieux camarade Shakespeare qui, par la bouche du sympathique Macbeth énonce que la vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui s’agite et parade une heure, sur la scène. Puis on ne l’entend plus. C’est un récit plein de bruit, de fureur, qu’un idiot raconte et qui n’a pas de sens. Ce n’est pas, avouons-le, particulièrement rigolo.

Pourtant ce n’est pas le thane de Glamis qui est transposé sous le ciel nippon, mais le souverain celte mythique, le Roi Lear trahi, humilié, rendu fou par ses deux aînées qu’il a privilégiées aux dépens de sa troisième fille. Au Japon, ce sont des garçons qui entourent Hidetora Ichimonji (Tatsuya Nakadai), vieux seigneur cruel las du pouvoir qui partage ses domaines entre Taro (Akira Terao), Jiro (Jinpachi Nezu) et Saburo (Daisuke Ryu). Domaines qu’il a d’ailleurs acquis par la terreur, la cruauté, la violence et qui lui ont valu des haines durables, en premier lieu celle de Dame Kaede (Mieko Harada), épouse du premier-né Taro.

La tragédie de Shakespeare est touffue, complexe, tortueuse. Le film ne l’est pas moins et aurait sans doute gagné d’être élagué ici et là ; sa durée de près de trois heures m’a paru excessive et, au bout du compte un peu lassante.

Mais à aucun moment je n’ai cessé d’admirer la beauté et, si je puis dire, le souffle des images de Kurosawa. De ma longue mémoire de spectateur, je n’ai pas d’autre souvenir de qualité constante que celui de Barry Lyndon, le plus pictural des films du génie Stanley Kubrick. Beauté des couleurs, rythme des mouvements de foule et des combats, splendeur des paysages, grâce hiératique des scènes d’intérieur.

C’est d’ailleurs peut-être cette somptuosité qui m’empêche d’apprécier complétement le film. L’œil est si satisfait qu’il trouble la perception de la tragédie. En contre exemples, je donnerai volontiers deux des adaptations shakespeariennes d’Orson Welles : Othello en 1951 et surtout Macbeth en 1948, ce dernier film financé par des bouts de chandelle mais porté, transfiguré, exalté par le génie du réalisateur qui a su faire de pauvreté vertu et du carton-pâte embrumé un magnifique décor d’angoisse.

D’angoisse, comme la dernière séquence de Ran, l’aveugle Tsurumaru (Takeshi Nomura), à qui le seigneur Hidetora a jadis crevé les yeux, errant dans les ruines…

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