Reflets dans un œil d’or

Gai, gai, marions-nous !

Je voyais plutôt jusque là John Huston principalement comme un grand, un très grand conteur d’aventures fabuleuses, souvent conclues par la brutalité de la mort et de l’échec, quelquefois additionnées du grand rire de dérision jeté aux ridicules efforts de la pauvre Humanité pour s’en sortir et rarement dépourvues de la cruauté nécessaire. Et de fait Le trésor de la Sierra MadreQuand la ville dortL’odyssée de l’African QueenMoby DickPromenade avec l’amour et la mortL’homme qui voulut être Roi, tous films admirables, entrent complétement dans cette typologie. Et même si je savais que le cinéaste était un des plus grands talents protéiformes du cinéma mondial, capable de presque recréer le film noir (Le faucon maltais), de donner à la biographie romancée une tenue et une allure extraordinaires (Moulin rouge), de faire éclater le burlesque des Seventies (Casino Royale) et même d’adapter un texte difficile de la littérature mondiale (Gens de Dublin), je l’imaginais moins dans cette lourde lente histoire de frustration et de mort qu’est Reflets dans un œil d’or.

Certes Les désaxés présentaient une riche galerie d’anormaux et de cinglés et je gage que Freud passions secrètes, que je n’ai jamais vu comportait une belle panoplie de refoulés et de névrosés. Mais je n’imaginais tout de même pas voir le cinéaste des aventures restreindre – avec grand talent – son propos à ces quelques pauvres gens malheureux qui, confinés sur une base militaire de Géorgie ou de Virginie Occidentale mettent tout en œuvre pour se déchirer consciencieusement et vivre les malédictions diverses qui les ravagent.

Il n’est pas totalement impossible, au demeurant, que le film ne souffre un peu de l’accumulation de tares diverses qui paraissent accabler les protagonistes. On demande un personnage normal ! a-t-on envie de beugler à tout instant. Mais sans doute est-ce un peu le propos de la romancière Carson McCullers, dont le film est une fidèle adaptation du roman. Je ne dis pas que le cinéma (ou le roman) devraient se suffire de personnages ordinaires, normaux et je conviens volontiers que les fous fondus, les bizarres, les anormaux, les marginaux offrent en général un riche terreau d’émotions qui, par leur incongruité même captent l’attention. Mais là, quel florilège !!

Soit le major Weldon Penderton (Marlon Brando), psychorigide, médiocre officier, dégoûté du corps de sa somptueuse femme Léonora (Elizabeth Taylor), goulue à peu près idiote qui le trompe donc consciencieusement avec un officier proche et voisin, le lieutenant-colonel Morriss Langdon (Brian Keith), lui-même affligé d’Alison (Julie Harris), sa femme qui perd graduellement la raison à la suite (notamment mais sûrement pas simplement) de la mort de leur enfant et qui est affublée d’une sorte d’histrion philippin, Anacleto (Zorro David) avec qui elle se joue des comédies. Puis aussi un soldat de la base, Williams (Robert Foster), taciturne, incompréhensible, qui passe son temps à chevaucher nu et à s’introduire dans la maison des Penderton pour contempler Léonora dormir et humer ses parfums et ses vêtements. On mixe avec talent ces insectes enfermés dans un bocal, qui se heurtent, se séduisent, se frôlent, se cognent et finalement meurent ou se tuent.

Atmosphère gluante, poisseuse, malsaine, marquée par une sexualité omniprésente (l’homosexualité refoulée du Major Penderton vis-à-vis du soldat Williams, la nymphomanie de Léonora, le voyeurisme anxieux de Williams, la frustration pudibonde d’Alison, dont les relations avec le jouet/guignol/poupon Anacleto sont tout sauf nettes) et par une pesanteur d’ennui incommensurable.

Et malgré cela, John Huston parvient à réaliser un film dont l’intérêt demeure constant et permet de se passionner pour une intrigue aussi fausse que malsaine. Bravo l’artiste !

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