Rio Grande

Papa, Maman, la Cavalerie et moi.

Je ne sais pas très bien pourquoi je m’obstine, à intervalles divers, semblable au lemming qui se suicide lors des migrations de son espèce (mais il paraît que c’est une légende ! quelle déception !), pourquoi je m’obstine à regarder des westerns étasuniens, genre cinématographique limité et répétitif qui, en tout cas, parvient à m’ennuyer presque à chaque fois. Peut-être parce que, l’enfant étant le père de l’homme comme chacun sait, j’en ai ingurgité une telle quantité durant les douze premières années de mon existence que j’en ai été gravement intoxiqué. Parce qu’il faut bien dire que dans les années qui ont suivi la Libération, un déferlement de films de ce genre a coulé dans le marbre, pour les petits Européens cet aspect de la maigriotte histoire des États-Unis, pauvrette qui n’a pas trois siècles et ne dispose que de rares mythologies, comme si c’était une épopée.

Il est vrai aussi, d’ailleurs, que le western ravissait les parents soucieux de la bonne santé morale de leurs rejetons parce qu’il donnait à voir et à admirer des histoires simples avec des bons et des méchants très caractérisés, des personnalités rudes, robustes, fermes et droites et qu’il exaltait les vertus de l’héroïsme militaire : c’était une sorte de relent de pétainisme informulé : avec les pionniers de la conquête de l’Ouest, la terre ne mentait pas davantage que dans les discours de Vichy. Il y avait même le petit fumet supérieur qui permettait de tenir Indiens et Mexicains pour du menu fretin tout à fait insignifiant dans la plupart des cas et redoutablement sournois et dangereux dans le pire.

Rio Grande ne vaut qu’à peine plus que les dizaines de kilomètres de pellicule projetés dans les cinémas européens après les désastreux accords Blum/Byrnes qui ouvrirent nos écrans à la déferlante, en même temps que le Coca-Cola et juste avant le Mac Donald : de beaux paysages spectaculaires ressassés, ceux de la fameuse Monument valley utilisée à profusion dans tous ces films comme si la totalité de la cavalerie de l’Union s’y était concentrée, au service d’une histoire d’une grande banalité ; histoire appuyée sur des personnages découpés à grands traits : le colonel Kirby York (John Wayne) a tout sacrifié à sa vocation militaire ; il est sévère mais juste, distant mais attendri lorsqu’à son unité est affecté le jeune Jeff (Claude Jarman jr), le fils qu’il n’a pas vu depuis quinze ans, blanc-bec à peu près insignifiant qui en fait un peu trop dans la rigidité militaire pour être enfin reconnu par son papa.

Je crois avoir compris que le ménage du colonel s’est délité lorsque le colonel – alors dans l’armée confédérée – a été contraint de faire incendier la plantation qui appartenait à la famille de sa femme Kathleen (Maureen O’Hara) par le sergent Quincannon (Victor McLaglen) devant l’avancée des Nordistes. Et voilà que Kathleen – qui a bien supporté cette longue séparation de quinze ans, dirait-on – rapplique pour veiller sur son grand garçon et retombe presque illico dans les bras du papa. Assez curieusement dans un film de genre, il y a une abondance extraordinaire de chansons, balades, romances – toutes, au demeurant, extrêmement médiocres – que susurre à tout propos une curieuse chorale régimentaire (une chorale dans un régiment de cavalerie de la fin du 19ème siècle ???).

Parvenu là, c’est-à-dire guère loin, John Ford doit sentir le besoin de donner quelques images plus conformes à ce qu’on pense être du western  ; il manigance donc une attaque d’un groupe d’Indiens rebelles, ce qui donne des images extrêmement réussies de poursuite à brides abattues ; comme da,ns l’imaginaire étasunien, les Peaux-Rouges n’ont pas encore été réhabilités (ce qu’ils seront, jusqu’à plus soif, dans les décennies suivantes), ils seront assez facilement massacrés à la fin et tout rentrera dans l’ordre : la Cavalerie l’emporte toujours !

Ce qui me navre, c’est que ce genre, avec sa grande banalité et ses redondances (je me répète) a envahi vraiment notre imaginaire. Tous ces admirateurs de l’histoire étasunienne, qu’auraient-ils dit si un réalisateur français avait mis en scène notre propre épopée coloniale, d’ailleurs bien plus variée, géographiquement que celle du Nouveau Monde ? Quels ricanements ou quelles indignations aurait-on entendu !!! Et pourtant…

 

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