Sleepers

La joie de vivre !

Quatre garnements audacieux, virevoltants, inséparables, audacieux, dans un quartier blanc pourri de New-York en 1967. Quatre gamins d’origine irlandaise ou italienne, dont les parents n’ont pas beaucoup de sous, dont les familles, sans éclater, ne sont pas des havres de paix. Le havre, ils le trouvent à l’église où Robert Carillo (Robert De Niro), un prêtre intelligent, ouvert, aux mains généreuses et ouvertes. Carillo, qui fut plus avant bien proche d’être une canaille et un tueur, veille sur eux avec tendresse, anxiété, subtilité. Des garnements, donc, un peu truqueurs, un peu voleurs, qui grandissent sous l’œil bienveillant du prêtre mais aussi sous celui du Parrain du quartier King Benny (Vittorio Gassman) qui les couve affectueusement : après tous, quand ils seront un peu plus âgés, il pourra toujours les enrôler dans ses trafics.

Les gamins grandissent, dans la douce complicité affectueuse, érotiquement informulée, de leur amie Carol Martinez (Minnie Driver). Et puis un jour une farce ou plutôt une rapine qui tourne mal : davantage pour rire que par méchanceté on dérobe le chariot de hot-dogs d’un pauvre malheureux mais, par malheur, ce lourd chariot, instrument de farce idiote, dévale les escaliers du métro et fracasse le corps d’un pauvre malheureux qui passait par là. Les garnements, glacés, sont jugés. Condamnés à une année de redressement dans un centre de correction très rude, le Wilkinson home for boys. La peine est sévère mais, après tout, ces jeunes crétins n’ont que ce qu’ils méritent.

Qui sont-ils, au fait ? Lorenzo, Tommy, John, Michael… De petits voyous sympathiques, qui ont douze ans, en tout cas en rien criminels qui vont se retrouver dans un pénitencier épouvantable. Au fait il paraît que Barry Levinson, le réalisateur, s’est inspiré d’un récit de Lorenzo Carcaterra qui, disait-il, adaptait des faits réels. Toujours est-il que dans la géhenne malsaine du pénitencier pour enfants, les combats, les haines, les brimades, les quatre amis tombent rapidement sous les yeux d’un groupe de surveillants sadiques, violents, homosexuels pédophiles qui les frappent, les violent, les démolissent pendant des mois avec une incroyable méchanceté, une indifférence complète à la souffrance et à la dignité. Des jours et des nuits restitués comme des cauchemars épouvantables, où l’on n’est qu’une chose minable vouée à la saleté du plaisir et de l’humiliation.

Césure. On est dix ans plus tard et le groupe des quatre amis a éclaté. John (Ron Eldard) et Tommy (Billy Crudup), cocaïnés et alcooliques jusqu’à la racine sont devenus des tueurs à gage, indifférents à tout. De temps en temps – mais rarement – John saute la belle Carol, qui est devenue assistante sociale et qui a toujours été, à vrai dire, amoureuse des quatre copains à la fois. Michael (Brad Pitt) est procureur adjoint dans la juridiction new-yorkaise de son enfance. Et Shakes (Jason Patric), le narrateur du film, est un petit journaliste de troisième rang.

Et puis, au hasard d’une soirée, les deux tueurs John et Tommy aperçoivent dans un restaurant le chef de leur tortionnaires de jadis, le plus cruel, le plus pervers, Sean Nokes (Kevin Bacon). Très réussi moment de jouissance où les deux tueurs entourent et massacrent leur persécuteur. Il y a du sang, du bruit. Les deux voyous sont inculpés.

Là commence la troisième partie du film : la façon dont les deux types qui ont mal tourné vont être sauvés par leurs amis de toujours. Ce n’est pas le meilleur du film, ça s’étire de façon démesurément longue et ça présente tous les tics des innombrables ‘’films de procès’’ étasuniens, l’audition des témoins, la lutte entre le Procureur et l’Avocat, les ‘’Objection, votre Honneur’’ qui ponctuent les séances. Voilà que ça devient tordu, hasardeux et, si on ose écrire miraculeux.

Et on est tout de même un peu gêné devant la balourdise finale (ou presque) : le cas de conscience que doit affronter le Père Carillo /De Niro et qu’il résout avec une certaine habileté. Cela dit, le spectateur est une des pièces du puzzle présenté, il admire la virtuosité du joueur qui le place là où il faut, mais il est à peine dupe.

J’ai écrit à peine, parce que Barry Levinson connaît son affaire et dispose d’assez de roublardes qualités pour ne jamais trop faire retomber la tension. Distribution éclatante, réussie, de haut niveau : Dustin HoffmanBrad PittKevin BaconRobert De Niro,Vittorio Gassman, c’est tout de même assez bluffant, non ? D’autant que chacun des interprètes réussit sa prestation. Trop long, mais très bien. Heureusement dur : la conclusion montre un champ de ruines : c’est à peu près l’image des vies gâchées.

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