The Fabelmans

Telle est la vie des hommes…

Quelle est la part de fiction, quelle est la part d’autobiographie dans The Fabelmans ? Qu’est-ce que Steven Spielberg a inséré de sa vie, qu’est-ce qu’il a inventé dans ce très beau film qui relate avec talent et tendresse l’émerveillement d’un gamin devant la capacité du cinéma à créer un monde ? Car le film est bien cela : l’irruption dans une jeune tête de la magie du Septième art, de ce qui, selon le mot de Paul Vecchiali ne doit pas être une évasion, mais une invasion. Dès le début du film, devant l’accident de train qui est une des séquences très fortes de Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille (1952), le gamin Samuel Fabelman (Gabriel LaBelle), un enfant de cinq ans est sidéré, stupéfié, englouti devant ce que les images animées peuvent évoquer. Et fasciner, et faire vivre.

Tout ce qui décrit et évoque l’enfance du réalisateur est, semble-t-il, conforme à la réalité : une famille juive issue de l’immigration ukraino-polonaise ; un père, Burt (Paul Dano), ingénieur de haut niveau et de grand talent, une mère, Mitzi (Michelle Williams), pianiste de qualité, mais qui n’a pas fait carrière, trois sœurs. Une enfance passée dans le New-Jersey, puis dans l’Arizona et enfin à Saratoga, à côté de San Francisco, en Californie.

Quoi d’autre ? La précocité dans l’envie de réaliser des films, la médiocrité des résultats scolaires, la mise en oeuvre de trucages ingénieux pour tourner, avec quelques complices, des petites bandes artisanales mais qui montrent dès l’abord la qualité de l’œil et la capacité du montage. Tout cela est l’évidence.

Le reste ? Eh bien c’est sans doute aussi vrai, mais personne, sauf des spécialistes – et encore – ne va nous montrer si les relations entre Mitzi et Bennie Loewy (Seth Rogen), le collaborateur de Burt et meilleur ami du couple ont été si emplies d’ambiguïté et de troubles, si le jeune homme a été victime d’un antisémitisme structurel au collège de Saratoga, s’il a connu avec la jolie Monica (Chloe East), gamine exaltée et délicieuse, une brève histoire amoureuse, s’il a vraiment rencontré brièvement John Ford qui lui a donné quelques indications stylistiques et, surtout, une détermination d’enfer.

Ce qui est bien, c’est que tout cela – autobiographie réaliste et broderies adventices – est parfaitement lié dans un parcours de vie qui se tend vers le bonheur et la douleur de la création. Le dit l’oncle Boris (Judd Hirsch) au jeune Samuel : ce qui compte en toi, c’est l’art, c’est la volonté de vivre ta vie, de n’avoir ni attache, ni contrainte : tu n’es pas comme les autres. Et le jeune homme apprend, le film se déroulant, que, de fait, c’est bien davantage auprès de la caméra qu’auprès des gens, auprès des filles qu’il vivra sa vie.

Tout cela m’a fait songer aux mots merveilleux de François Truffaut dans La nuit américaine (1973) : Je sais, il y a la vie privée, mais la vie privée, elle est boiteuse pour tout le monde. Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse. Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, il n’y a pas de temps morts. Les films avancent comme des trains, tu comprends ? Comme des trains dans la nuit. Les gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans le travail de cinéma.

Drôle de folie qui nous donne tant et tant de bonheurs. Dans un esprit tout à fait similaire, mais avec d’autres orientations, Agnès Varda en 1991 avait conté dans Jacquot de Nantes les mêmes illuminations de Jacques Demy, son compagnon, qui se mourrait et qui racontait lui aussi le bonheur de filmer…

 

 

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