Thérèse Raquin

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Ciel de suie

Lyon n’est décidément pas une ville comme les autres ; ses brouillards, ses traboules (j’expliquerai le mot à qui le demandera), ses hautes maisons de la Croix Rousse, ses patriciens d’Ainay (ou aujourd’hui du quai des Belges) et son petit peuple de La Guillotière ou de Montchat, amateur de clapotons, de cervelles de canut et de tabliers de sapeur lui constituent une sorte de statut à part dans la géographie des villes françaises. Elle ne rage pas de n’être pas la capitale de la France, puisque son archevêque est Primat des Gaules et hausse les épaules devant la prétention de Marseille à être la deuxième ville de France puisqu’elle est, elle, la deuxième agglomération.

Derrière les hauts murs, bourgeois grands et petits font, depuis toujours, des affaires. C’est une sorte de Florence austère, dissimulée et parcimonieuse où des drames secrets et des saletés sournoises mijotent dans des bistrots à vitres embuées.

Le roman de Zola ne se passe pas à Lyon, mais à Paris ; pourtant l’idée géniale de Marcel Carné et de Charles Spaak est d’avoir transposé entre Rhône et Saône, et à l’époque contemporaine (du tournage ! 1953) ce texte sombre, premier ouvrage d’un jeune auteur de 27 ans qui n’a pas en tête encore le grand cycle des Rougon-Macquart, mais qui a déjà, sur la nature humaine des vues intéressantes !

20175e-image-de-Therese-Raquin-807_optLyon, le brouillard, le ciel bas, la crasse des maisons noires, tout est en place pour que Marcel Carné réalise le dernier bon film de sa grande carrière (allez ! bonne pâte, j’ajoute en codicille L’air de Paris de l’année suivante.

Tout, c’est-à-dire une distribution éclatante, avec en premier lieu, en amants diaboliques, Simone Signoret et Raf Vallone, mais aussi – extraordinaire ! – la vieille Madame Raquin – Sylvie – et son fils, débile et puéril, Camille, joué par un Jacques Duby inspiré. La partie de petits chevaux « où Camille gagne toujours » sous le regard fou d’orgueil de sa mère est, à elle seule, une scène d’anthologie admirable, où l’on pourrait presque respirer l’odeur de moisi des rideaux de reps vert bouteille.

Que ce soit théâtral, et même un peu mélodramatique n’a pas beaucoup d’importance : on ressent jusqu’au bout l’humidité pesante de la Capitale des Gaules, de ses fumées, de son ciel de suie. Qui ne connait pas Lyon en apprendra beaucoup. Et qui le connait en frissonnera d’ainsi le reconnaitre.

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