Toto le héros

Une vie d’une indicible peur.

Il faut être assez sûr de soi et même assez gonflé pour réaliser son premier long métrage avec une structure de récit aussi complexe. On saurait gré de son audace à Jaco van Dormael si Toto le héros était une parfaite réussite, parce qu’il est vraiment bien sympathique qu’un jeune metteur en scène (34 ans lors de la présentation du film) ait de l’ambition et sorte des sentiers battus et rebattus des sujets de société qui font les soirées dominicales des chaînes de télévision majeures. Mais pour partir dans la grande aventure il me semble qu’il faut avoir un peu mieux préparé son havresac et y avoir savamment réparti les masses pour l’équilibrer.

L’étrange Belgique a permis l’éclosion de cinéastes de grande qualité ; jadis Jacques Feyder, Albert Valentin, André Delvaux, Harry Kümel ou Gérard Corbiau ; depuis lors les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne, Benoît Mariage, Lucas et Rémy Belvaux, Bouli Lanners et j’en oublie sûrement beaucoup. Étrange Belgique qui aime à la fois les galimafrées et les histoires fantastiques de Michel de Ghelderode, Georges Rodenbach ou Jean Ray (et j’en oublie encore davantage). Jaco van Dormael possède de fait, le sens et le don de la singularité.

Thomas Van Hasebroeck (Toto) est un vieil homme qui a toute sa vie vécu dans la conviction absolue qu‘on lui a volé son destin et que, lors de l’incendie d’une pouponnière, dans la panique, il a été confondu avec son voisin de berceau, Alfred Kant. Les parents d’Alfred sont de très opulents commerçants, ceux de Toto ont une existence plus modeste mais les deux familles sont voisines. Aucune ressemblance pourtant avec La vie est un long fleuve tranquille ; avant tout parce que la rancœur de Toto est absolue et va lui ronger l’existence.

L’enfance de Toto est marquée par l’envie, la jalousie qu’il éprouve envers son voisin Alfred (Hugo Harold Harrison) mais aussi par les rêveries où il s’imagine tout puissant et vengeur de l’injustice. Et davantage encore par l’affection sans mélange et réciproque qui le lie à sa grande sœur Alice, affection qui frôle souvent l’attirance incestueuse. Puis un jour, le père, envoyé par son riche voisin Kant (Didier De Neck), le père d’Alfred, dans une mission en Angleterre, par une nuit d’orage, ne revient pas. Haine familiale pour le père Kant, accusé d’avoir envoyé à la mort son voisin en lui faisant prendre des risques inconsidérés.

Allers-retours des flashbacks. Toto n’est plus un enfant dévoré de chagrin, désormais il est Thomas (Jo De Backer), sorte de bureaucrate à la vie terne. Alice est morte très jeune, on ne saura pas ni quand, ni pourquoi, ni comment. Et le vieil homme replonge dans le maelström des souvenirs, repasse et revient sans cesse. S’étale lorsque Thomas adulte croit retrouver en Evelyne (Mireille Perrier) la sœur morte et toujours adorée.

C’est à partir de ces moments-là que l’on se dit que Jaco Van Dormael ne maîtrise plus tout à sa fait son mustang qui s’emballe : les séquences sont souvent intelligentes, intéressantes, réussies mais leur liaison et surtout leur mobilité perpétuelle commencent à sentir le procédé ; cette impression s’établira de plus en plus au fil des minutes. Le film n’est pas long (moins de 90 minutes) mais, comme souvent, la fin part en bouillie alors qu’elle veut élégante et habile.

Voilà donc ce qui arrive lorsqu’on veut être trop intelligent et s’approcher trop près du risque. Depuis notre camarade Icare, rien de nouveau.

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