Trois jours de bringue à Paris

Les mystères de La Ferté sous Jouarre.

Lorsque qu’on découvre en têtes d’affiche d’un film français de 1954 les noms de Lucien BarouxPierre LarqueyArmand Bernard, on est bien fondé à penser qu’on ne va pas s’émerveiller devant un chef-d’œuvre immarcescible. Et on n’est pas plus rassuré en voyant surgir en deuxième rideau Georges BeverFélix OudartRaymond Cordy ou, chez les dames, Milly Mathis.Mais tout cela s’arrange lorsqu’on sait que l’immortel Émile Couzinet, le Titan du nanard est le producteur/réalisateur/scénariste. L’auteur du grandiose Congrès des belles-mères et dont je me propose de regarder prochainement La famille Cucuroux ou, si je parviens à le trouver, Mon curé champion du régiment. Et qu’on ne vienne pas me dire que Michelangelo Antonioni a davantage de talent : ça reste à prouver.

D’abord parce que les acteurs et l’actrice cités plus avant ne sont pas, absolument pas négligeables, faisant tous partie de ces silhouettes indispensables qui manquent cruellement aujourd’hui, donnant au cinéma d’hier et d’avant-hier son fumet, son épaisseur, sa consistance. Qu’il y a parmi eux, ces Excentriques souvent de grand talent, que le bon public d’auparavant reconnaissait, goûtait, aimait jusqu’à les faire quelquefois – rarement – devenir vedettes ; comment croyez-vous que Louis de Funès a commencé sa carrière ?

Puis parce que le scénario de Trois jours de bringue à Paris (merveilleux titre qui fleure le bœuf miroton et le saucisson à l’ail !), parce que ce scénario, donc est directement issu de La cagnotte, pièce d’Eugène Labiche, qui est d’ailleurs inscrite au répertoire de la Comédie française. Labiche, qui a écrit (avec des collaborateurs) 176 vaudevilles, dont Un chapeau de paille d’Italie, maintes fois adapté au cinéma et dont on sait peu que notre honnête et grave Premier ministre Michel Debré était un grand spécialiste. La pièce, qui date de 1864, a simplement été transposée quatre-vingt dix ans plus tard, mais Couzinet a quasiment tout conservé.

À La Ferté sous Jouarre (Seine-et-Marne) (qui, entre parenthèses, est la capitale mondiale de la pierre meulière), les notables se réunissent pour jouer aux cartes et constituer patiemment une cagnotte. Lorsque le temps est venu de la dépenser, qu’en faire ? Eh bien, justement, selon le vote démocratique qui est pratiqué, Trois jours de bringue à Paris ! 156.950 francs de 1954, c’est quelque chose comme 3500 € d’aujourd’hui ; rien de bien considérable lorsqu’on se déplace en groupe : il y a là le rentier, capitaine des Pompiers Théophile Chambourcy (Lucien Baroux), sa sœur montée en graine Léonida (Milly Mathis), sa fille Blanche (Catherine Cheiney), ainsi que le cultivateur Colladant (Pierre Larquey) et le pharmacien Cordenbois (Félix Oudart). Et a raté le train, mais rejoindra plus tard la troupe, le notaire Renaudier (Marcel Roche), fiancé de Blanche Chambourcy.

On en saura assez lorsqu’on aura appris que la vierge mûre Léonida et le pharmacien Cordenbois espèrent profiter de leur voyage dans la Capitale pour rencontrer une âme-sœur grâce à l’officine matrimoniale dirigée par l’ingénieux Cocarel (Armand Bernard), marieur de talent. On passera sur les péripéties charmantes ou niaises, les quiproquos qui sont de règle dans le genre, les rencontres imprévues, les retrouvailles improbables, les hasards miraculeux, les invraisemblances assumées. On ne va pas demander de la rigueur au vaudeville, moins encore à Émile Couzinet. Et on se satisferait bien de ces anecdotes bien enlevées si, précisément, elles étaient aussi enlevées qu’on le souhaiterait.

Ce n’est pas le cas, pas tout à fait. On est bien forcé de convenir que ça ahane de temps en temps, qu’il y a des passages languissants et quelquefois un peu ridicules ; on voit venir de loin les effets et les trucs et malgré toute la conviction mise par les acteurs, qui font le job, comme on dit, on reste un peu sur sa faim.

 

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