Un condé

« Tout le monde déteste la police ! »

La pré-commission de censure à qui, à l’époque étaient soumis tous les films a imposé d’en changer le titre. C’est ainsi que Le condé a été modifié en Un condé, mais cette atténuation sémantique ne peut tromper personne : Yves Boisset avait entrepris de dresser un procès à la police. Non pas seulement à un mauvais policier, corrompu, brutal, malade, pervers, sadique pourtant nullement exemplaire, mais bien à l’institution policière en soi. Un des aphorismes du film est d’ailleurs : La police est un métier sale, qu’on ne peut faire que salement.

Voilà qui était bien dans l’air du temps, deux ans après Mai 68. Au début de l’année 1971, à l’époque à peu près de la sortie du film, un ami de mon frère, Normalien de la rue d’Ulm, avait entrepris de m’expliquer que notre société ne connaîtrait ni délits ni crimes si l’on parvenait enfin à supprimer la police. Selon ce docte garçon, en effet, toutes les malfaisances de la société prenaient naissance dans le concept de violence légitime de l’État, concept qui justifie que les pires horreurs et brutalités soient infligées à de braves gens. Des gens qui, sans la police, auraient passé une existence paisible, bienveillante et harmonieuse. D’ailleurs, selon ce brillant sujet, si l’État disparaissait, ce serait encore bien mieux.

Bernard Fresson, Michel Bouquet

Je ne suis pas resté baba devant la limpidité de la démonstration, sachant bien que lui manquait un paramètre essentiel : la médiocrité de la nature humaine, de l’individu lorsqu’il n’est pas corseté par la société, c’est-à-dire par la civilisation.

J’ai rarement vu un film aussi puant de haine que ce Condé, aussi obsessionnel dans sa haine. Il est vrai que Boisset s’inscrivait dans le courant d’une contre-culture radicalement opposée à l’invraisemblable prospérité des années Pompidou.

Dans Un condé, le seul sujet, maquillé en film d’action, c’est finalement le caractère irréconciliable de deux mondes : celui des braves gens et celui des honnêtes gens. Les honnêtes gens sont guindés, sourcilleux, enquiquinants, rigoureux et rigoristes. Les braves gens sont hédonistes, accueillants, bienveillants, rieurs, libertaires, ouverts à tous les goûts et à toutes les expériences.

Naturellement, comme il s’agit – nécessités financières de la production oblige – de réaliser un film où se heurteront malfrats et policiers, Boisset introduit une intrigue et fait mine d’expliquer la violence malsaine de l’Inspecteur Favenin (Michel Bouquet, réellement prodigieux) par le meurtre de son ami l’Inspecteur Barnero (Bernard Fresson).La haine de Favenin pour les assassins le conduit à se débarrasser de toutes les limites et de pratiquer, avec un sadisme de mauvais aloi, le chantage, la violence, la torture, même. Le film met donc sur le même plan les crapules et les éboueurs de la société, ce qui me semble plutôt hasardeux ; autre aphorisme, celui de l’anarchiste Raymond Aulnay (Rufus) à son fils après qu’il a été tolchoqué : Regarde bien et n’oublie jamais : c’est ça un flic.

On doit ajouter que Un condé est extrêmement mal filmé, que les dialogues sont guindés, ampoulés, souvent infantiles et que, Michel Bouquet mis à part, les autres interprètes, pourtant souvent excellents acteurs, jouent comme des cochons (Michel Constantin,Henri Garcin et – ô tristesse ! – Françoise Fabian).

L’honnête succès public du film n’a sans doute été dû qu’à ses démêlés avec la censure. Mais le jour où le Pouvoir, quel qu’il soit, comprendra que persécuter un film, c’est favoriser sa propagation n’est pas encore arrivé.

2 Responses to “Un condé”

  1. Ray La Montagne dit :

    Cher Monsieur,
    Tout d’abord merci pour votre critique, c’est toujours un plaisir de vous lire et je suis heureux que vous soyez toujours aussi actif sur ce site.
    Concernant ce film, je l’avais personnellement interprété d’une autre manière et j’aimerais votre opinion. Sur le point de savoir la raison pour laquelle Yves Boisset a fait ce film, je pense que la chose est entendue et sans ambiguïté : je vous rejoins ici pour dire qu’il s’agissait de le faire contre la police. Cependant, Un Condé me paraît un film plus important que cela car il arrive, il me semble (et malgré l’intention première du réalisateur), a aboutir à un film équilibré et, tant que faire se peut, honnête. J’ai en effet considéré trois groupes d’individus dans ce film : les policiers, les révolutionnaires et les malfrats. Or, là où le film m’a plu, c’est qu’il parvient (sans que le réalisateur l’ait nécessairement voulu ainsi) à faire passer tour à tour chacun de ces groupes comme les bons, les méchants, et les insignifiants.
    Au début du film, les malfrats sont des méchants identifiés et les révolutionnaires des héros sans nuance (les policiers étant alors au second plan). Dans la suite du film, les malfrats finissent peu à peu par devenir insignifiants (voire à endosser le rôle de « gentil », je pense notamment à Lupo qui dénonce Dan Rover pour empêcher un assassinat), mais les rôles évoluent également pour la police et les révolutionnaires. Certes, la police occupe, pendant la grande partie du film, la position de méchant et vous l’avez rappelé. Cependant, d’une part, Favenin ne représente jamais l’institution « police » à mon sens et les policiers sont toujours un tant soit peu humanisés : à Viletti qui indique avoir tué Barnero en état de légitime défense (car celui-ci avait tiré, certes en l’air, « mais comment savoir dans la nuit ? Tu l’avais pas vu comme cela hein ? »), Favenin de répondre : « Non je ne l’avais pas vu comme ça. Et la femme de Barnero et ses deux gosses non plus ». Il rappelle aussi cela en réponse à la fameuse réplique que vous avez rappelé, « Regarde bien et n’oublie jamais : c’est ça un flic » où Favenin de rétorquer : « Barnero aussi avait des gosses ». Je vois dans ces échanges la volonté de montrer que le policier n’est pas une matraque bête et méchante, mais un père de famille (comme les autres personnages du film). Barnero endosse d’ailleurs un rôle de policier semi-révolutionnaire au début du film, hésitant à laisser partir les fuyards qui viennent d’abattre le Mandarin. Seul Favenin endosse le rôle de l’homme seul, sinistre, mais il tend à faire exception dans sa fonction : il a fait l’objet d’un déplacement forcé pour raisons disciplinaires (ce qui signifie que sa hiérarchie ne l’approuve pas) et son chef de service ne fait guère preuve de cynisme brutal et tient même en soupçon Favenin avant de le désavouer absolument. D’autre part, la fin du film fait passer, à mon sens, les policiers pour les bons et les révolutionnaires pour les méchants. Dan Rover, qui interprétait jusque-là l’idéal romantique du héros vengeur sombre dans un pathétique absolu à la fin du film : obligé de passer à tabac Lupo pour obtenir ses informations (ce qui fait miroir à la scène de passage à tabac orchestrée par Favenin), il est emmené dans une folie vengeresse dont le pathétique est d’autant plus révélateur par l’entremise d’Hélène Dassa qui convainc Favenin de remettre Dan Rover en liberté et de présenter sa démission : sa vengeance devient d’autant plus ridicule qu’elle est sans objet (tandis que la vengeance de Favenin s’est toujours appuyée sur une mort concrète). Le fait que la police désavoue Favenin à la suite de ses révélations, et ne cherche pas à étouffer l’affaire, montre aussi son minimum de probité.
    Sans aucun doute, Yves Boisset souhaitait faire un film bête et méchant sur la police. Je pense cependant que, malgré lui, il en a fait un film intelligent, du moins si l’hypothèse que je vous ai proposé se tient.
    Bien cordialement,

  2. impetueux dit :

    Mille excuses, mais c’est aujourd’hui seulement, bien après que vous l’avez écrit, que je découvre votre message : il y en a bien peu sur ce site qui est personnel et où j’accumule mes points de vue et que très peu de lecteurs, très très peu fréquentent.

    Vous avez évidemment raison et vous décrivez avec beaucoup d’intelligence la complexité de la situation ; mais à mes yeux cette complexité – réelle et bien exposée par votre propos – est mal mise en oeuvre par Boisset.

    Car ce que vous dites, qui est intelligent et nuancé, nappraît pas dans le film sauf si on le scrute comme vous l’avez fait.

    Mon impression initiale, qui date de la projection du film, en 1970, a été vive et s’est incrustée si fort qu’une vision nouvelle n’a pas uffit à me placer dans l’excellente direction où vous êtes allé.

    Merci de m’avoir un peu plus ouvert les yeux !

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