Un flic

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Melville, dernière !

On ne va sûrement pas compter Un flic parmi les plus étincelantes réussites de Jean-Pierre Melville et on va même classer le film plutôt en deçà des grandes réalisations policières du cinéaste (je mets à part, à dessein, l’insurpassable Armée des ombres). D’avoir voulu écrire lui-même le scénario et les maigres dialogues lui a été sarcastiquement reproché par José Giovanni, de qui avait été adapté Le deuxième souffle, mais Le doulosLe samouraïLe cercle rouge étaient bien de la main de Melville et montraient davantage son immense talent.

 N’empêche qu’on peut regretter que sa filmographie s’achève, la mort subite survenant, sur un film qui n’est pas très satisfaisant. Invraisemblance de nombreuses séquences, effacement des personnages, dont aucun n’a de chair ni n’est vraiment caractérisé et – horresco referens – un abus des transparences qui font que quelquefois on pourrait craindre de se retrouver devant un banal Hitchcock. Et aussi, beaucoup d’insuffisances : les dialogues sont abominables (heureusement, il n’y en a pas beaucoup) et les archétypes sont nigauds (Jean Desailly en vieille pédale raffinée, le travelo indic Gaby (Valérie Wilson), amoureux de Delon), et un rôle d’une grande platitude pour Catherine Deneuve, pourtant dans le grand éclat de sa beauté.

Et pourtant, et malgré cela, des constantes qui rendent si attachant et si fort le cinéma de Melville. Par exemple la lumière bleu acier, froide, sévère qui occupe tout le film, qu’on soit au jour, dans les gifles de pluie qui inondent le front de mer de Saint Jean de Monts, lors du hold-up initial ou dans la solitude glacée de la nuit parisienne où tous les égouts de la pauvre humanité débordent et dont les policiers sont les éboueurs, voués à vider sans états d’âme une mer dont le flux indifférent se renouvelle à chaque instant.

Par exemple, aussi, la fascination pour les cabarets où des filles emplumées à jambes interminables dansent devant des clients qui s’ennuient devant leurs seaux à champagne. Et les lourds manteaux ou les trench-coats bien ceinturés des braqueurs. Et la parole rare, avare, même, de tout le monde. Et Alain Delon, à la bouche amère et à l’œil fatigué qui passe comme un fantôme las, sans affection pour personne et encore moins, et surtout pas, pour lui-même. Et encore une action qui s’achève sur les désastres habituels qui ravagent la vie des hommes.

Autrement dit, on retrouve, pour ceux qui aiment ça, le pessimisme fondamental de Melville, son regard désabusé et pourtant fasciné par le fourmillement obstiné, le tremblement inutile de ceux qui mourront demain (Albert Cohen). On ne peut donc que davantage regretter que le commissaire Coleman (Alain Delon) ne soit qu’une ombre sans épaisseur, mâchoires serrées et indifférentes, que Cathy (Catherine Deneuve), sa maîtresse, mais en même temps celle de Simon (Richard Crenna), l’organisateur des casses, ne fasse que passer comme un songe… Et d’ailleurs aussi les personnages secondaires (Crenna, donc, mais aussi ses complices, André PousseMichael Conrad, Riccardo Cucciolla) ou l’adjoint du commissaire (Paul Crauchet) soient aussi transparents.

Mais, ne serait-ce que pour la lenteur chirurgicale du hold-up dans le train de nuit lancé dans la campagne et survolé par un hélicoptère (à condition de faire mine de ne pas remarquer que ce sont là des maquettes malhabiles), pour le front de mer gelé de pluie, pour les rues de Paris glacées, vides, hautaines, pour la belle idée de ce banquier licencié, Paul Weber (Riccardo Cucciolla) qui dissimule à sa femme aimante (Simone Renant) qu’il a basculé dans le banditisme et qui, démasqué, se suicide, Un flic, où pas une couleur chaude n’apparaît jamais, est un film qui attache…

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