Un papillon sur l’épaule

Malaise de qualité.

Tiens, déjà faisons litière de la rumeur, de l’anecdote, selon laquelle Ventura aurait eu un malaise lors de la scène finale : le bon supplément du DVD relate qu’il est bien exact que les passants de Barcelone, devant le corps étendu, ont marqué la même indifférence que la plupart de ceux qui passent aux côtés d’un clochard ivre-mort. Simplement, comme la scène était filmée au téléobjectif, et qu’il ignorait si Deray en était satisfait, l’acteur demeurait allongé dans l’attente du clap. Et ce sont des assistants, est-il indiqué, qui sont venus lui dire qu’il pouvait se relever).

Pourquoi écrire  sur un film dont il a été beaucoup parlé ? Tout Tout simplement parce que le film est excellent et qu’on n’en parle pas assez. Je conçois qu’il n’ait pas eu de succès public. L’un des intervenants du supplément, le chef monteur, Henri Lanoë fait d’ailleurs part de ses réticences sur l’esprit du film, redoutant que les spectateurs cartésiens revendiquent des explications rationnelles, veuillent savoir qui est qui, ce qu’il y a dans la mallette, par qui Roland Fériaud (Lino Ventura) est assassiné, etc. Même s’il affirme ensuite qu’Un papillon sur l’épaule est un des meilleurs films de Deray, on voit bien que ce style où l’on ne peut se raccrocher à rien n’est pas dans les habitudes du cinéma français.

C’est vrai, on est décontenancé, et quelque chose en nous voudrait obtenir des explications. Pourtant est-ce que ce genre d’histoire où les traces se perdent dans le sable, où des inconnus se croisent aux passages sans s’identifier, où des histoires se poursuivent dans d’autres univers parallèles n’est pas davantage semblable aux cheminements complexes de nos existences que ne le sont les récits bien léchés où toutes les pièces du puzzle trouvent leur place ?

Admirons en tout cas l’art de Jacques Deray pour nous installer dans le trouble, et quelquefois la panique ; c’est mieux que dans Frantic, de Roman Polanski, où, une fois les excellentes prémisses posées, on s’installe un peu dans la conformité au genre des énigmes policières ; c’est bien davantage rationnel que dans Le locataire, du même Polanski. Le souvenir qui m’est venu à l’esprit est celui des Espions de Clouzot, mais il y a trop longtemps que j’ai vu le film pour que je puisse pousser plus loin la comparaison…

On l’a dit, la bizarre atmosphère de Barcelone – mais Barcelone d’avant les Jeux Olympiques de 92, qui l’ont profondément transformée – est pour grand chose dans l’étrangeté ; mais également le parti-pris intelligent de la couleur dominante, une sorte de vert-jaune très inquiétant. Aussi la furtivité des déambulations des silhouettes, le grelottement plus que fréquent des sonneries de téléphone : le fantastique quotidien se glisse là dans ses meilleurs habits, comme dans certains romans de Patrick Modiano, faits aussi de pistes qui s’enlisent, de destins interrompus sans horizons.

Dans le cinéma du malaise, Un papillon sur l’épaule prend une place intelligente, à réévaluer….

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