Une histoire simple

Cinéma des années mortes.

Je me situerai volontiers entre les notations de ceux qui estiment que le film est d’une infinie justesse et ceux qui le jugent plus sévèrement trouvant que c’est largement inférieur aux Sautet habituels. 

Ce qui me semble évident, c’est que Sautet a beau accumuler les recettes qui rendent si fascinantes les images de Vincent, François, Paul… et les autres, rassembler dans un brouhaha extrêmement justes des tas de gens dans des bistrots enfumés (on souhaite bien du plaisir aux adeptes du tabagiquement correct qui voudront, quelque jour, éliminer les clopes de ces films, comme ils l’ont fait avec Lucky Luke et Jacques Tati !), qu’il a beau nous mettre sous le nez la convivialité artificielle des copains de bar et des copains tout court, il ne retrouve tout de même pas l’harmonie chorale de la période précédente.

histoire-simple-claude-sautet-1978-l-w2ftl4Il est vrai pourtant que les acteurs sont formidables, des premiers rôles aux seconds ou troisièmes ; retrouver la beauté lisse et si rare de Francine Bergé, faire re-connaissance avec Sophie Daumier, qu’on n’avait plus guère vue depuis Dragées au poivre, quinze ans auparavant, découvrir Eva Darlan d’avant Palace, c’est un des grands bonheurs que donne Sautet.

Car si l’anecdote d’Une histoire simple ne m’a pas vraiment accroché, ce que je trouve de plus fort chez Sautet, quels que soient ses films, immenses ou moindres réussites, c’est le nombre de trames, de strates, de plans dans les paysages humains : à peu près tous les personnages pourraient, richement bâtis comme ils sont, donner lieu à une œuvre : ils ont de l’épaisseur, de la substance, du poids, ils n’apparaissent pas en ombres chinoises, ou en profils perdus disposés simplement là pour faire nombre, derrière les protagonistes principaux.

critique-une-histoire-simple-sautet2Au fil des années, Sautet apparaît vraiment comme le plus exact mémorialiste de ce qui fut la fin des Trente glorieuses, leur prospérité inquiète et les questions qu’elles se posaient en pensant les résoudre. Si, à l’époque, faire un bébé toute seule, comme Marie (Romy Schneider), pouvait sembler à la fois courageux et libérateur, à l’heure actuelle, c’est devenu d’une extrême banalité, mais surtout souvent un signe de désespérante solitude ; le cinéma de Sautet montre une France aussi morte que celle des années Cinquante, monochrome et fumeuse, même si dans Une histoire simple, on distingue les signes avant-coureurs du désastre, les individus dépassés par la modernité, la dureté de l’adaptation à un travail de plus en plus exigeant et anonyme, le stress et l’angoisse, la rupture des liens avec le monde traditionnel, aussi castrateur que protecteur…

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