Une méthode dangereuse

Là où il y a d’la gêne…

Je gage qu’il faut être non seulement bien plus frotté que moi des théories de la psychanalyse, mais aussi s’intéresser avec une certaine constance à ces coquecigrues pour ne pas s’ennuyer profondément au récit très didactique mis en scène par David Cronenberg. Un récit adapté d’une pièce de théâtre elle-même issue d’un roman ; tout cela, au demeurant, paraît assez fidèle aux relations singulières, ambiguës puis exécrables qui ont existé entre Sigmund Freud (ici Viggo Mortensen) et Carl Jung (Michael Fassbender), autour de la singulière Sabina Spielrein (ici Keira Knightley).

On peut dire d’abord ce qui n’est pas raté : on peut se croire dans un de ces excellents feuilletons britanniques (du type Downton Abbey) où les costumes, les véhicules, les décors concourent à procurer ce parfum suranné et intelligent qui fut celui de notre belle Europe, quand elle se concevait et se savait le centre du monde. Tout cela existait avant la Grande guerre et personne ne peut imaginer ce que ça pouvait être. Avec Paris, Vienne était la ville la plus intelligente qui se puisse, pleine de grands écrivains (Stefan ZweigRobert Musil, Arthur Schnitzler ou Joseph Roth). Il a fallu l’absurde détermination d’Harold Wilson, président des États-Unis pour venir à bout de ce cénacle magnifique après la défaite des puissances de l’Alliance (alors qu’on s’est bien gardé de toucher au monstre germanique, en laissant subsister la Prusse et ses territoires vassaux).

J’ai le sentiment que je m’égare un peu, ce qui m’arrive de plus en plus souvent, il faut bien que je me l’avoue. Mais qu’écrire d’un film qui dispense un ennui profond, qui avance avec la célérité d’une tortue anémiée et dont les personnages semblent coincés dans des corsets empesés ? On ne retrouve pas, pas du tout le Cronenberg audacieux, qui n’est pas toujours de bien bon goût mais qui a, d’ordinaire, une certaine qualité pour orienter l’étrangeté et faire surgir des bizarreries radicales. Là, vraiment rien du tout : une sorte de sage relation des rencontres entre les trois protagonistes, de leurs conflits, de leurs jalousies, de leurs interrogations dessinée plutôt laborieusement.

Mais ce qui est le plus ennuyeux, c’est que le conflit intellectuel, presque idéologique entre les deux psychanalystes, Freud et Jung, s’il paraît longuement exposé, demeure largement incompréhensible. Qui ne s’est pas plongé dans ces subtilités qui n’intéressent que les spécialistes ne comprendra absolument rien à ce qui oppose les deux médecins jusqu’à les rendre antagonistes et même ennemis. Après tout, la chose paraissant avoir une certaine importance à ceux qui attachent du crédit à ces explorations mentales, il n’aurait sans doute pas été absurde d’expliquer de façon claire en quoi ces deux méthodes, freudienne et jungienne, d’abord fort proches, se sont ensuite éloignées au point de créer des fossés béants entre leurs sectateurs respectifs.

Il faut avoir un peu de sens pédagogique pour vulgariser des notions qui n’on rien de simple ; je ne dis pas que Cronenberg en soit dépourvu, mais là ça ronronne et ça ennuie gravement. Les personnages n’ont aucune substance, n’attachent jamais, ne retiennent pas la lumière. De jolies images, des paysages calmes, des costumes élégants, des acteurs à qui on ne peut rien reprocher sinon leur insignifiance. Mais il paraît que le film a plu.

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