Une nuit à Casablanca

Se perd dans l’ennui.

Il me semble que je commence par la fin. Je veux dire que je regarde les films des Marx brothers en marchant sur le mauvais versant, celui de la fin de leur aventure. Sans doute me semble-t-il qu’il y a bien longtemps, j’ai vu et je me suis amusé devant Plumes de chevalLa soupe au canardUne nuit à l’OpéraPanique à l’hôtel où les trois (et quelquefois quatre) frères donnent le meilleur d’eux-mêmes, de leur verve comique, de leur dynamite intérieure. Mais c’était il y a si longtemps dans ma mémoire que j’ai à peu près tout oublié. Au fait, ne vous moquez pas, les gamins qui n’ont pas 60 ans : quand vous en aurez 15 de plus, vous ricanerez moins.

Les Marx au grand magasin ne m’avaient que moyennement séduit : j’avais eu l’impression de contempler un genre, une manière de faire qui avait eu de la qualité, de l’originalité, du mérite, mais qui s’essoufflait passablement. Dans cet art, tout de tension, tout de finesse, tout d’ancré sur les crêtes qu’est le burlesque, il faut avoir de la profondeur et du souffle ; il faut tenir le rythme jusqu’à s’en brûler les poumons, parce que la moindre défaillance, la moindre saute de cadence ne se pardonne pas : en quelque sorte on est obligé d’être au meilleur pendant toute la durée du film.

Les Marx brothers sentaient d’ailleurs cela, puisqu’ils interprétaient des films à la très courte durée (Une nuit à l’Opéra : 85 minutes, Plumes de cheval : 68 minutes ; La soupe au canard : 70 minutes) : le genre frénétique ne permet pas qu’on puisse aller plus longtemps dans la tension nécessaire. Des films qui n’ont pas besoin – ou plutôt qui se passent – de scénario, qui n’en font qu’un arrière-plan des cingleries et esbroufes qui déferlent.

Le scénario d’Une nuit à Casablanca n’a donc aucune espèce d’importance. Comme le film date de 1946, les trois frères vont affronter un ancien potentat nazi qui tente d’emporter en Amérique du Sud – refuge habituel des vaincus – des trésors spoliés à on ne dit pas qui ; au demeurant, cette fuite panique n’est guère mise en valeur (en tout cas bien moins que dans Les maudits de René Clément) : il n’y a pas encore cette contrition qui n’a saisi le monde occidental que plusieurs décennies plus tard.

J’aimerais assez apprécier l’humour burlesque, nonsensique, farfelu des Marx brothers ; je crains de passer plutôt à côté. J’y reviens : est-ce que les trois (quelquefois quatre) frères n’ont pas donné le meilleur de leur vitalité avant la guerre et ne se sont-ils pas ensuite répété ad libitum ? Sans aucune prévention (bien au contraire) envers leur talent, je ne parviens pas à pleinement apprécier leur talent. Il y a de bons moments, quelques scènes incongrues plaisantes, mais jamais un grand moment héroïque hilarant. Et au contraire quelques séquences un peu pénibles et ridicules. On se croit quelquefois au milieu de clowns, dans un cirque ; on veut bien être petit enfant, âme pure, bon public.

Mais sauf à se mentir, peut-on être vraiment dupe ?

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