Une place au soleil

Sur un toit brûlant.

Bien sûr, c’est un mélodrame cruel, avec toutes les ficelles et chevilles du mélodrame et on aperçoit d’assez loin l’irruption des péripéties et des catastrophes, tellement on les devine inévitables. Le récit, qui a le bon goût de se terminer fort mal, se déroule sans apporter de surprises ni même de coups de théâtre et on assiste dans un parfait confort intellectuel, toujours bien rassurant. Et comme c’est très habilement monté, que la réalisation de George Stevens est impeccable et les acteurs excellents, on assiste à un film tout à fait prenant. Un succès qui, au demeurant, fut couronné de 5 Oscars, ce qui ne m’impressionne pas beaucoup mais n’est pas tout à fait négligeable.

Je ne mettrai de bémol que pour la longue séquence du procès, absolument superflue et languissante qui est là pour satisfaire le goût intense du public pour les joutes du prétoire, goût accentué qui plus est par les particularités de la curieuse procédure étasunienne (Objection, votre Honneur !).

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est la focalisation sur les positions sociales des trois principaux protagonistes et les interactions qui les animent et qui vont déclencher la mécanique de la fatalité, de l’évidence de la fatalité : au sommet, Angela (Elizabeth Taylor), qui est belle, riche, délicieuse, amoureuse ; au bas de l’échelle, Alice (Shelley Winters), pauvre petite ouvrière, à peine jolie, encore fraîche mais qui se fanera de plus en plus tout au long du film.

Et au milieu, George (Montgomery Clift). Au milieu ? Ah non, pas vraiment au milieu, et même pas du tout. C’est là un des points forts de l’histoire.

George est certes un garçon tout à fait désargenté, tout au moins au début du film, élevé par une famille de fondus évangélistes comme on n’en voit que dans les pays anglo-saxons, famille qu’il a quittée très jeune pour gagner un peu de liberté avec des tas de petits boulots. Mais on peut penser que, nonobstant ses père et mère, il est issu d’un excellent milieu et en porte la trace. Son oncle Charles Eastmann (Herbert Heyes) est un grand industriel du textile et il ne semble pas être un parvenu qui vient de faire une rapide fortune mais bien plutôt un grand bourgeois qui a su largement développer une affaire familiale. En d’autres termes, même si George n’a pas reçu d’instruction scolaire, il connaît les codes de la Société et peut s’y mouvoir sans y faire trop d’impair.

Tiré vers le haut par sa rencontre avec la sublime Angela (admirable séquence du coup de foudre mutuel entre les deux sublimes acteurs, Clift et Taylor), il laisse derrière lui la pauvre besogneuse Alice. Ce ne serait pas très dramatique, simplement conforme à l’ordre immuable des choses, si Alice n’avait ce qu’on appelait jadis un Polichinelle dans le placard, ce qui, évidemment, ne simplifie pas les choses.

Qui les rend même inextricables, au demeurant. Le nœud est habilement noué et le dilemme, ravageur, est parfaitement étouffant : comment George, promis par l’amour d’Angela et la confiance que lui fait son oncle richissime qui songe à l’associer à ses prospères affaires à un délicieux destin pourrait-il s’enfermer dans l’existence étriquée, parcimonieuse, surie que lui promet un mariage avec Alice dont les jérémiades – évidentes, justifiées, insupportables – sont de plus en plus exaspérantes ?

Tout cela est très bien vu et ne pouvait qu’interpeller le spectateur à l’époque où l’avortement n’était pas envisageable. Elizabeth Taylor et Montgomery Cliftn’étaient en 1951 pas tout à fait des débutants mais il est vraisemblable que le film de George Stevens a permis à l’opinion d’apprécier leur grande beauté et leur talent. Shelley Winters est absolument parfaite dans ce rôle de petite bonne femme à la chair pauvre ; elle fait partie de ces actrices qui sont vouées de toute éternité à subir les méchancetés de la vie qui connaissent un destin tragique (elle est Charlotte Haze, la malheureuse mère de Lolita de Stanley Kubrick). Le Noir et Blanc du film est très élégant, les baisers des personnages sont délicieusement langoureux, les États-Unis de 1951 extraordinairement prospères. Film délicieux. Et tragique, ce qui est tout à fait nécessaire.

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