Vampyr

L’incertitude.

Malgré les propos très convaincants des intervenants des suppléments du DVD, qui chantent merveilles de Vampyr, je ne suis pas tout à fait entré dans l’admiration générale et j’ai regardé le film comme un exercice de style inspiré, souvent intrigant, toujours pénétrant mais qui manque un peu de substance. Si on compare le film de Dreyer (1932) au Nosferatu de Murnau (1928), il y a assurément moins d’angoisses et d’émotions fortes, bien que celui-ci soit encore muet et celui-là déjà parlant. Mais l’un s’empare d’un récit linéaire, l’autre s’évade sur des ailes oniriques qui permettent bien davantage d’expérimentations – donc de vacuités.

En fait le récit vampirique n’est qu’un prétexte, une ligne directrice, un cheminement qui n’offre qu’un tout petit intérêt et où ne subsiste aucune interrogation et aucun suspense : les vampires existent, ils ont autour d’eux, à leur dévotion, des séides et ils s’attaquent aux blanches oiselles ; dès qu’on les a identifiés et repérés il faut – et il suffit de- ouvrir leur tombe et plonger dans leur cœur un pieu aiguisé qui les enverra en Enfer pour l’éternité. Voilà qui est clair ! Cette partie-là, qui est la grammaire élémentaire d’un genre qui ne cesse de faire florès au cinéma, n’est assurément pas celle qui intéresse Carl Dreyer dont le film est une suite de dérive poétique, de promenade angoissante. Est-ce d’un cauchemar qu’est victime David Gray (Julian West), ce jeune homme rêveur, impressionnable, qui s’est, dit le carton d’introduction, plongé dans le culte du diable et des superstitions ? Et le carton ajoute que Gray ne percevait pas la frontière entre la réalité et le surnaturel

Dès lors, au cours d’une errance mélancolique, dans l’atmosphère morose, crasseuse, ténébreuse d’une auberge perdue au bord d’une rivière grise, on conçoit que l’imagination, la folle du logis commence à travailler et fasse naître des idées morbides. D’autant que – ce sont sans doute les images les plus célèbres du film, et il est vrai qu’elles sont de toute beauté – David Gray aperçoit par la fenêtre un vieillard à la mine sombre, sa faux sur l’épaule, qui hèle le passeur d’un bac au moyen d’une cloche qui résonne comme un glas.

Un glas, sombre mesure de l’accompagnement des trépassés. Un faucheur, un passeur… quelles représentations plus parlantes de la mort peut-il y avoir ? Le moissonneur des vies, le naute qui, comme Charon, conduit vers l’Érèbe les âmes mortes… L’étrange climat d’un pays où on ne ressent que de l’inquiétude : paroles crispées dans l’auberge et surgissement d’un homme à la gueule cassée, qui ne dit pas un mot et passe glacé. Puis un château où la jeune fille Léone (Sybille Schmitz) se meurt de consomption, mal protégée par le châtelain, son père (Maurice Schutz), sa jeune sœur Gisèle (Rena Mandel) et un couple de serviteurs fidèles contre les entreprises diaboliques de Marguerite Chopin (Henriette Gérard), vampire du temps passé et de ses serviteurs, le docteur (Jan Hieronimko) qui est censé la soigner et d’un garde-chasse à jambe de bois (Albert Bras).

Dans une lumière ouatée, dont la qualité onirique tient paraît-il au hasard d’une erreur de développement en laboratoire, il y a une succession d’images malsaines, tout à fait propices à susciter le malaise qu’on ressent dans un cauchemar, surtout lorsqu’on est conscient qu’on est précisément dans un cauchemar. À ce degré de malaise, je ne vois guère que Eraserhead, le film presque expérimental de David Lynch pour donner autant de gêne. Un égarement que le réalisateur conduit avec assez de science pour perturber le spectateur décontenancé de voir David Gray devenir transparent puis être lui-même inhumé dans un cercueil où une lucarne de verre lui permet de contempler, en le voyant à l’envers, au parcours qui le conduit au cimetière.

Cet hommage rendu à la qualité du filmage de Dreyer, il n’est toutefois pas iconoclaste de dire que ce parti-pris d’esthétique et d’onirisme rend le film bien souvent pesant et languide. Que l’histoire soit contée de façon trop conventionnelle, que les maigres dialogues ne laissent pas le moindre souvenir, que les personnages n’aient aucun caractère ce n’est pas vraiment par soi-même un obstacle dirimant. Mais qu’on s’ennuie plutôt à guetter l’image suivante l’est davantage…

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